Joël Boisnard, le taiseux qui a plein de choses à dire
"Ce n'est pas moi qu'il faut féliciter, c'est le cheval qui a couru." Voilà ce que réponds toujours Joël Boisnard quand on lui adresse un bravo après un de ses succès. Comme lorsqu'il était jockey, alors seul à connaître par coeur toutes les performances et les place à la corde de tous ses adversaires, Joël Boisnard apprend tout les paramètres qui lui permettent d'atteindre son objectif, la victoire, qu'il apprécie autant au top niveau que dans les "kermesses estivales." C'est une méthode apprises dès l'âge de 20 ans aux côtés d'Henri-Alex Pantall, fameux éplucheur de programmes de l'ouest dans les années 80 et 90. Breton d'origine, Joël Boisnard est monté faire son apprentissage à Paris chez Gilbert Donguy, puis a remporté sa 1e course en 1979 pour François Doumen. Il a aussi travaillé pour Elie Lellouche puis est descendu chez le tout jeune Alex Pantall à Beaupréau.
Après la victoire de Mambia dans le Prix du Calvados (Gr.3) à Deauville, avec la co-propriétaire Pascale Ménard
Toujours en combat avec le poids, il a passé près de 20 ans à ne rien manger le matin, boire un café en lisant son turf le midi, et seulement se nourrir un peu le soir, tout en passant sa vie entre les hippodromes sur le route, avec le pied un peu lourd...Désormais entraîneur, s'il est à cheval tous les matins, au moins il mange, mais pense toujours pareil ". Mon métier est d'essayer de ne pas détruire le potentiel du cheval." Nous voilà loin de ceux qui pensent pouvoir sublimer leur chevaux...
Joël Boisnard lorsqu'il était jockey, sous la casaque de son beau-père Gérard Margogne
Le succès n'a jamais grisé cet homme réputé froid et méthodique et taiseux, mais intarissable une fois lancé dans le discours, plus souvent sentimental avec ses chevaux qu'on le pense. Il est vrai qu'on peut être surpris, en tant que propriétaire, d'entendre son entraîneur expliquer après la 1e victoire de son cheval qu'il est grand temps d'en arrêter l'exploitation, avant qu'il ne reperde ce qu'il vient tout juste de glaner avec peine ! En même temps, on entendra rarement un entraînement qualifier autant ses pensionnaires de sympathiques...Il a 48 ans mais toujours l'esprit d'un gamin à la perspective d'une nouvelle victoire qui se profile.
L'écurie de Joël Boisnard à Senonnes
C'est ainsi qu'il a remporté 13 cravaches d'or de l'ouest en tant que jockey, qu'il a accumulé 10 victoires dans Derbies régionaux (dont 4 de l'Ouest avec Sporran, Pebble, Pierrion, Harvest Time) et autres Grands Prix de province. Il a aussi gagné 2 Gr.3 à Paris à une époque où la province ne montait jamais à Paris. Il a enlevé le Prix du Lys avec Harvest Time, cheval de coeur, restant invaincu en arrachant la victoire à la lutte à Golden Pheasant, lauréat quelques mois plus tard de la Japan Cup à Tokyo. Il a aussi monté l'Arc de Triomphe 1987 avec le même Harvest Time, sans réelle chance, devant aller en tête avant de céder. Ce jour-là, il n'a pas gagné les 3 courses qu'il était sûr de remporter à Segré.
Joël Boisnard continue de monter à cheval tous les matins à l'entraînement
Puis un terrible accident subi aux Sables d'Olonne durant l'été 1998 a ruiné sa carrière. Il a échappé à la mort par miracle. Il est parvenu à remonter en selle, mais pour moins d'un an. Il a monté sa dernière course le 5 mars 2000 à Cholet, alors qu'il venait de se lancer dans l'entraînement, tout premier professionnel installé sur le nouveau centre de Senonnes.
Le nom de sa nouvelle adresse, La Bignetterie, ne lui plaît pas évidemment. Il le change : Les Tulipes Bleues. En effet, c'est avec une pouliche nommée Tulipe Bleue qu'il a remporté une de ses 1e courses de marque, le Critérium de l'Ouest à Craon. De plus, celle-ci provient de sa souche personnelle, élevée par ses parents alors qu'il était jeune jockey. Cette chère famille lui a aussi apporté son 1e gagnant d'entraîneur avec le vieux Talentueux, lauréat à Fougères le 9 avril 2000. Talentueux poursuit sa vie tranquille dans les paddocks. Il a mis ses 2 fils à cheval, même si ceux-là, Romain et Mathieu, n'ont guère de passion pour la chose équine.
Monté par Marie-Bernard Boudaud, Talentueux, le 9 avril 2000, offre sa 1e victoire d'entraîneur à Joël Boisnard.
Il en est aussi le propriétaire et même l'éleveur.
Depuis, Joël Boisnard monte les marches. Tous les ans, il remporte plus de courses qu'il n'a de chevaux dans les boxes. Dès 2003, il tombe sur une perle: French Polo. Sous les couleurs de son beau-père Gérard Margogne, célèbre entraîneur d'obstacle, French Polo lui offre un succès très symbolique dans le Derby de l'Ouest (Listed), une demi-heure avant que Kitch des Mottes complète une journée de rêve dans le Grand Prix des AQPS de Nantes.
Diyakalanie, avant sa 3e place dans le Prix de Diane
En 2005, il enlève 8 victoires en l'espace de 3 jours au mois d'août. En 2007, il retrouve les joies classiques avec une listed pour Varévées, qui lui offre son 1e Gr.3 à l'automne dans le Prix Gladiateur à Longchamp. Deux semaines plus tard, elle n'échouera que d'un souffle dans le Prix du Cadran, un Gr.1. Au cours de cette année faste, Joël Boisnard avait aussi marqué l'actualité avec sa Diyakalanie, 3e du Prix de Diane (Gr.1), complétant alors une arrivée 100 % provinciale, dans le sillage de West Wind (Pantall) et Mrs Lindsay (Rohaut). Ensuite, Sokar et Stikine ont gagné des listeds en 2008. L'an dernier n'a pas été riche en classicisme, mais plutôt en victoires avec un record personnel de 87.
Varévées offre à Joël Boisnard son 1e Gr.3 dans le Prix de Barbeville 2007 à Longchamp
2010, c'est l'embellie, avec en plus des coups du sort heureux. Royal Ménantie récupère une listed sur le tapis vert à Vichy. Mambia remporte aussi à Vichy le Prix des Jouveanceaux et Jouvencelles (Listed), avant de faire tilt dans le Prix du Calvados, en août à Deauville, un symbole classique, sous la même casaque guadeloupéenne de Raymond Luce que celle de Diyakalanie. Dès le lendemain, c'est la brave Airwoman qui décroche le Grand Handicap de la Manche sur la longue distance, sous la bannière de Gérard Samama.
Départ d'un lot de "Boisnard" qui longe la piste de l'hippodrome de Senonnes
pour rejoindre celles du centre d'entraînement.
Car Joël Boisnard, s'il aime le plat et les 2 ans, n'a rien d'un sectaire. Lui-même avait gagné 5 courses d'obstacle en tant que jockey. Il aime à avoir une équipe de sauteurs chez lui. A la fin du printemps, il a gagné sa 1e listed à Auteuil avec Magic Mambo, le frère cadet de Varévées. Kap Dream a aussi gagné à Auteuil. Il voit en lui un grand champion. Il a aussi gagné quelques unes de ses 1e courses d'obstacles avec l'adorable Chipie des Mottes, qui a accumulé 18 victoires en alternant toutes les disciplines du plat au steeple en passant par les haies. Personne n'oubliera Stodoun, roi de Cagnes, qu'il a donné à son pharmacien à Pouancé pour qu'il le sorte en concours complet. Citons encore avec le vieux Maitouz, gagnant du Grand Cross de Durtal 2006 à l'âge de 12 ans ! Il portait alors la casaque blanc et rouge du Duc de Blacas, son 1e grand propriétaire en tant que jockey, et qui a été reprise par son épouse Anne dès qu'elle s'est retrouvée libre après 5 ans sans exercice.
Toute la famille autour du grand espoir Kap Dream, sous l'ancienne casaque du Duc de Blacas.
Mais le couple est aussi...éleveur. Et pas seulement de loin. Ils ont 4 poulinières autour de la maison. Fanissa, Balnéo, Kalma et Rose Heath ont toutes gagné sous son entraînement, un total de 18 courses. La première, Fanissa, a gagné à 5 reprises en petite province mais elle reste spéciale pour Joël, ayant fait partie de ses 1e partants, après son achat à réclamer en avril 2000. Elle a aussi offert à Anne et Joël Boisnard son 1e succès d'éleveur avec son 1e produit Fanisso (Johann Quatz, vainqueur à Châteaubriant en 2006). Quant à la robuste Balnéo (10 vict), elle a donné 2 lauréats pour 2 chevaux en âge de courir, Balnéa et Dimoitoo. Et quand on lui parle d'élevage, Joël Boisnard est...intarissable. Mais oui. Il dit que c'est trop dur pour lui, mais il continue...
Joël Boisnard a conservé poulinière Fanissa, une de ses toutes premières pensionnaires.
En interview sur Equidia, il limite ses mots au strict minimum, cherchant la précision pour éviter une erreur ou une approximation qu'il déteste. " Aujourd'hui je me suis engueulé moi-même...j'ai fait ma connerie", font partie de ses expressions les plus fréquentes. Cet homme n'aime pas se tromper, mais il sait que forcément, il se trompe comme tout le monde se trompe. Lui au moins, il s'en rend bien compte !