Tir au But, toute la vie d'un homme

03/12/2012 - Focus Elevage
Auteur du doublé Grand Steeple Chase d’Enghien-Prix Olry Roederer, le sauteur entraîné par Guy Cherel a crevé l’écran en fin de saison. Elevé au Haras de St Voir, le fils de Maîtresse de Maison met en lumière une souche maternelle Vagne entretenue par la famille Delibéros depuis le début des années 70.

Dimanche 18 novembre, Auteuil. Il est 16 heures lorsque Franck Deliberos vient accueillir Tir au But après son exploit dans le Olry Roederer. Le 5 ans a défait ses aînés sur les haies, peu de temps après avoir triomphé à Enghien dans le Grand Steeple. Franck Delibéros arbore un sourire discret alors que ses yeux fixent le néant. Le promoteur immobilier songe probablement aux Hérénice et Ténice, à l’origine de son crack. Il pense plus sûrement à sa mère, Annick, qui lui a transmis la passion du cheval.

Dix jours après ce temps fort, le copropriétaire de Tir au But nous a reçu au siège de son entreprise. Probablement booké (ce qu’indique son bureau surchargé de dossiers), il nous consacrera tout de même près de deux heures au cours desquelles il nous contera une belle histoire. Une histoire qui le ramène à sa pré-adolescence. Une histoire où les sentiments, l’amitié et la confiance occupent une place de choix. Récit à cœur ouvert.
 
 
Franck Delibéros et Guy Chérel autour de Tir au But et Cyrille Gombeau après la victoire dans le Prix Léon Olry Roederer
(PHOTOS APRH)
 

« J’avais 12 ans lorsque Hérénice est née »  
 
Hérénice : Arrière-grand-mère de Tir au But, née en 1973 (Laniste / Bérénice III)
 
«Installés dans la Nièvre, mes parents étaient agriculteurs. Nous avions plutôt des Charolais et des moutons et de la culture sur notre propriété du « SOLEIL ». Passionnée par les chevaux, ma mère avait créé un club hippique au milieu des années soixante avant d’envisager de se lancer dans l’élevage d’AQPS. Amis de la famille, Michèle et Gabriel Vagne, ont joué un rôle déterminant dans ce projet, guidant ma mère dans ses choix, lui prodiguant les conseils sur l’élevage, lui ouvrant un monde nouveau. Ma mère a trouvé un accord avec Les Vagne pour l’exploitation de la carrière de poulinière de Hérénice, une fille de Bérénice III (issue d’une souche Vagne assez ancienne).
 
Elle nous a donné Ténice mais aussi Arénice (qui a gagné le Grand Steeple en 1988) et Judice (la mère du très bon Starnice, qui a enlevé le récent Prix Laniste sous nos couleurs). A cette époque, j’étais totalement étranger aux courses. J’adorais en revanche me balader à cheval en forêt.. »
 
 
Isopani a été le 1e AQPS à remporter le Grand Steeple-Chase de Paris, en 1981, entrainé par André Fabre. Cet élève de Gabriel Vagne a été le déclic pour Franck Délibéros.
 

« J’avais 24 ans lorsque Ténice est née »
 
Ténice : Grand-mère de Tir au But, née en 1985 (Quart de Vin/Hérénice)
 
« En 1985, j’étais beaucoup plus concerné par les chevaux et l’élevage. Quatre ans avant la naissance de Ténice, j’ai assisté à la victoire d’Isopani, un cheval élevé par Gabriel Vagne, dans le Grand Steeple de Paris 1981. J’étais aux côtés de Patrice et Eric, les fils de Gabriel. Etant leur ami d’enfance, j’ai eu l’impression de participer à cette victoire. Le premier déclic a eu  lieu à ce moment. Le deuxième est survenu lorsque ma mère m’a fait choisir en 1982 un foal nommée Quina du Soleil (propre sœur de Rambranlt, gagnant du Prix du Président en 1989). Cette pouliche a été merveilleusement exploitée en location par François Nicolle.
 
Puis est venue Ténice.
 
Issue de Quart de Vin, la référence des AQPS, Ténice était une très belle pouliche. Elle a terminé première au concours des 2 ans « Modèle et allures » de Vichy. J’étais alors à la fac et je n’ai pas hésité à faire un prêt étudiant pour l’acheter. J’ai ensuite loué Ténice à François Rohaut pour sa carrière de course. François l’estimait beaucoup. Malheureusement, elle ne supportait pas le box et n’était pas facile. Devenue poulinière, Ténice nous a donné Isidore Ranson (qui fut le meilleur 3 ans de sa génération en plat avant de se classer troisième de la Grande Course de Haies de Printemps à Auteuil). Eleveur sans-sol, j’ai été contraint de me séparer de Ténice en 1998. Je l’ai proposée à Nicolas de Lageneste et à lui seul. Je ne voulais pas qu’elle aille n’importe où et lui ai dit que son prix serait le mien. Marié à Pascaline Vagne, Nicolas est selon moi un visionnaire, mais aussi un homme formidable (il l’a d’ailleurs démontré lors de cette vente). »
 
 
Tir au But dans le Grand Steeple-Chase d'Enghien
 

« J’avais 27 ans lorsque Arénice est née »
 
Arénice, Grand-oncle de Tir au But, né en 1988 (Brezzo/Hérénice)
 
« Ma mère Annick me disait que les chevaux étaient d’un grand soutien dans son combat. En 1991, ma mère décédait d’un cancer. Cette année-là, nous avons  vendu Arénice à Francis Montauban. François Rohaut a d’abord fait du très bon travail avec lui avant qu’il ne rejoigne les boxes de Guillaume Macaire et remporte le Grand Steeple-Chase de Paris. J’étais présent à cette occasion et j’ai naturellement éprouvé une émotion énorme, mais aussi très particulière. Arénice était issue de l’élevage de  ma mère. Elle avait fait le choix du croisement et élevé le poulain avec une grande rigueur. Elle nous manquait tant ce jour-là. »  
 
« J’avais 46 ans lorsque Tir au But est né »
 
Tir au But, né en 2007 (Trempolino/Maîtresse de Maison)
 
« Lors de la vente de Ténice, j’avais demandé à Nicolas de Lageneste de me proposer, s’il le voulait bien, son prochain produit mâle. Or, au Haras de St-Voir, Ténice n’a produit que deux femelles, dont Maîtresse de Maison, avant de s’éteindre. Mais Nicolas ne m’a pas oublié pour autant. Lorsque Tir au But (premier produit de Maîtresse de Maison) est né, il m’a prévenu. Pascaline, sa femme, m’a suggéré de m’en porter acquéreur pour moitié et de laisser l’autre part au Haras de St Voir. Ce qui était une façon de tenter une aventure à plusieurs. Je n’avais encore jamais vécu une telle expérience jusqu’à présent et je ne regrette pas de l’avoir fait. Les plaisirs partagés sont en fait décuplés.
 
 
Deux amis d'enfance se retrouvent après la victoire de Tir au But dans le Grand Steeple-Chase d'Enghien. Pascaline de Lageneste, née Vagne, et Franck Delibéros sont désormais associés sur Tir au But.
 
 
 Je me considère comme un amateur et j’ai toujours aimé m’entourer de bons professionnels et surtout les écouter. J’ai découvert Tir au But lorsqu’il était foal. Patrice Vagne était à mes côtés. C’est un cheval de taille moyenne avec un œil vif et intelligent. Il est plus calme que la plupart des produits issus de cette souche. Il est venu progressivement en débutant en obstacle à 3 ans à Auteuil (gagnant le Prix Emilius) puis passant par les quintés. Il a franchi un vrai palier. Tir au But m’a aussi permis de découvrir Guy Cherel (dont j’apprécie particulièrement les qualités humaines) et je tiens à saluer le travail de Cyrille Gombeau qui a monté une course merveilleuse dans le Olry-Roederer. Après ses vacances au Haras de Saint Voir, Guy Cherel choisira la suite de ses engagements pour gérer la suite de sa carrière avec intelligence et peut être un jour gagner le Grand Steeple. On peut rêver non ? »
 
Et demain ?
 
« Cette année, Nicolas de Lageneste m’a proposé de participer à la carrière en course de la sœur de Tir au But : Allez les Rouges, une fille de Ténice par Saint des Saints, ce que j’ai particulièrement apprécié. Les chevaux, l’élevage sont mon bol d’air. Je n’imagine pas m’en passer. Au fil du temps, ils m’ont permis d’élargir mon cercle d’amis, de garder un contact avec la terre, moi qui suis plutôt, de par mon métier, un « urbain ». J’essaie aussi de transmettre cette passion familiale. Mes enfants aiment les chevaux et sont d’ailleurs co- éleveurs de Vixice (fille de Trempolino et Gladice, petite-fille de Ténice). »
 
On l’aura compris. Déclinée ici au passé et au présent, l’aventure Delibéros dans l’univers des courses se conjugue aussi au futur. Rendez-vous est pris dans quelques années (« Inch’Allah ») pour évoquer les futurs champions AQPS de la dynastie Hérénice

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