L'histoire de DNA : Lammtarra l'invisible
20/03/2020 - Grand Destin
Son nom signifiait invisible, et il est même aujourd'hui oublié. Pourtant Lammatarra, qui a failli mourir lui-même quelques mois après l'assassinat de son 1e entraineur, a réussi le triplé Derby d'Epsom, King George Arc de Triomphe la même année, comme nous le conte Thierry Grandsir.
LAMMTARRA (m. al. 1992), par Nijinsky II et Snow Bride (Blushing Groom)
L’épreuve classique par excellence est, pour les pouliches de 3 ans, la course appelée Oaks Stakes (Gr.1) qui se dispute sur les 2400 m des downs d’Epsom, soit l’équivalent du Derby (Gr.1) pour les mâles. De ce fait, croiser un étalon gagnant du Derby et une jument lauréate des Oaks est la formule la plus ultime de la sélection en matière d’élevage. Un croisement type sur type entre deux individus aux aptitudes similaires et de qualité supérieure qui se traduit par le célèbre adage : « croiser le meilleur avec la meilleure pour espérer obtenir le meilleur ».
C’est dans cet esprit que fut conçu un poulain alezan d’une grande beauté qui naquit le 2 février 1992 à Gainsborough Farm (USA),des œuvres du Champion Nijinsky II et de Snow Bride, une fille du brillant Blushing Groom. Il fut baptisé Lammtarra, ce qui signifie invisible en arabe.
Confié aux bons soins de Alex Scott, un jeune homme de 35 ans basé à Oak Stables (GB), le 2 ans Lammtarra effectua ses débuts au mois d’août même pas dans un maiden mais directement dans une Listed Race disputée sur les 1400 m de Newbury, qu’il remporta avec la manière sous la selle de Walter Swinburn Jr. Convaincu qu’il détenait un phénomène, le jeune entraîneur se rendit aussitôt chez son bookmaker pour placer un pari sur ses chances dans le Derby: £1,000 gagnant, à 33/1. Le mois suivant, Alex Scott fut assassiné par son stud groom…
Lammtarra, sans entraîneur, redevint invisible pendant dix mois. Envoyé à Dubai pour passer l’hiver au chaud, il contracta une infection rénale qui mit ses jours en péril et dont il récupéra par miracle. De retour à l’entraînement en Angleterre, cette fois sous la coupe du jeune Saeed bin Suroor, l’objectif consistant à le courir dans le Derby fut maintenu mais il était trop tard pour lui offrir une course préparatoire.Lammtarra effectua donc sa rentrée directement dans le Derby, toujours avec Swinburn qu’il remporta en terminant à la vitesse du vent pour prendre une longueur en toute fin de parcours à Tamure, monté par Dettori sous la casaque du patron Cheikh Mohammed. Le tout en signant le nouveau chrono record de l’épreuve qui tenait depuis Mahmoud en 1936, soit presque soixante ans plus tôt !!!
LAMMTARRA, vainqueur du Derby (Gr.1) en 1995
L’édition 1995 du Derby est historique à plus d’un titre. Un temps record, un gagnant issu de deux vainqueurs classiques à Epsom (il ne sera imité en cela que par Australia en 2014), et le plus jeune propriétaire de l’Histoire : Saeed Maktoum Al Maktoum, âgé de 19 ans et pensionnaire d’un grand collège écossais, n’aura d’ailleurs pas assisté au triomphe de ses couleurs car la course s’était disputée hors congés scolaires !
Vous croyez aux fantômes ? Le jockey Walter Swinburn Jr, lui, y croit depuis ce jour-là: « Durant tout le parcours, j’ai eu la drôle de sensation qu’il y avait quelqu’un d’autre avec moi sur la selle, qui nous poussait sans relâche… ». De son côté, la veuve de feu Alex Scot toucha le pari gagnant engagé par son défunt mari dix mois plus tôt, soit £33,000.
Absent de l’Irish Derby pour avoir reçu un coup dans son box, Lammtarra s’aligna le mois suivant au départ des King George VI & Queen Elizabeth St. (Gr.1) pour y devancer avec courage ses aînés sur les 2400 m d’Ascot, cette fois en compagnie d’un Lanfranco Dettori qui sera de nouveau son partenaire pour son ultime sortie, le Prix de l’Arc de Triomphe (Gr.1).
Lammtarra dans le Prix de l'Arc de Triomphe.
Le traditionnel défilé de l’épreuve reine de Longchamp met cette année-là en présence les seize partants de la course, dont quinze en file indienne. Lammtarra marche sur le côté, tantôt à gauche, tantôt à droite, jamais avec les autres. Non qu’il soit nerveux, sans doute la peur d’être invisible. Durant le parcours, il suit le leader, attaque à 800 mètres du but et repousse plusieurs vagues d’assaut pour conserver l’avantage avec détermination devant Freedom Cry, Swain et Lando.Seul Mill Reef avant lui avait réalisé le triplé historique Derby – King George – Arc de Triomphe la même année…
De retour aux balances et après le traditionnel saut de l’ange de son partenaire, Lammtarraest dirigé vers les écuries mais ils’arrête net après quelques pas, et refuse de bouger en regardant un public dont les applaudissements redoublent d’enthousiasme, semblant se dire : « Non, je ne suis pas invisible ! ».
Invisible (ou presque) il le redeviendra au haras, n’ayant su engendrer un performer de sa trempe durant sa saison anglaise ni celles qui suivirent au Japon, où il avait été exporté contre un chèque de $30,000,000. De retour en GB à seize ans pour y savourer une retraite heureuse et méritée, il nous a quitté huit ans plus tard, non sans laisser son nom dans le pedigree de plusieurs gagnants de Gr.1.
Pour l’anecdote, sa mère Snow Bride a remporté les Oaks (Gr.1) alors qu’elle était déjà poulinière… Soyons plus précis, son succès officiel dans une course où elle avait été devancée de 3 longueurs par Aliysa n’a été validé qu’après une longue bataille juridique, consécutive à des traces de camphre découvertes dans les analyses de la vraie gagnante. Une décision officielle plus que discutable, qui conduisit d’ailleurs S.A. Aga Khan, propriétaire d’infortunée Aliysa, à fermer son écurie anglaise…
