R.C. Strauss (Kilfrush Stud) : cet inconnu a disparu (1/3)
Le triumvirat Strauss, Binet, Collet s’est disloqué
Richard-Charles Strauss faisait partie d’un triumvirat composé de Jean-Pierre Binet et de Robert Collet pour la carrière de courses de leur patrimoine équin. Nous n’avons plus vu ses couleurs et pour cause, le haras irlandais de Kilfrush a été vendu à un qatari et tout le cheptel avait rejoint, quelques mois plus tôt, les effectifs d’un duo d’américains. Mais nous verrons la partie élevage par la suite.
Jean-Pierre Binet
Jean-Pierre Binet nous a quittés en octobre 2012 à l’âge de 85 ans. Il faisait partie de ce triumvirat indissociable sur les programmes français depuis des lustres avec comme homme de confiance et unique entraîneur, Robert Collet.
Mais avant de rejoindre ses associés pour former ce trio, il avait débuté avec ses propres couleurs en France qu’il avait obtenu en 1975 (Gros-vert, manches mi-gros-vert, mi-noir, toque gros-vert). Son premier partant fut un cheval d’obstacles en pension à Maisons-Laffitte chez Jean-Jacques Beaumé. Il fut également son premier vainqueur en 1976 : Blue Vermillion (Luthier) s’était imposé dans le Prix Lilium à Auteuil devançant un certain Corps à Corps (vainqueur du Grand Steeple de Paris 1977 monté par André Fabre). Blue Vermillion se classera second, fin juin 1976, de la Grande Course de Haies des 4 ans (l’actuel Prix Alain du Breil) et de retour en plat se classera 3ème du Prix Gontaut-Biron (Gr. 3) de Larkhill (Mise de Moratalla et Miguel Clément) et Kasteel (Baron de Zuylen et Jean-Michel de Choubersky).
Jean-Pierre Binet accompagné de Bernard Sécly en 1986
A l’automne, changement d’herbage, Blue Vermillion atterrit à Chantilly chez Bernard Sécly, Il se classera l’année suivante 3ème de la Grande Course de Haies de Cagnes derrière Mazel Tov.
Chez Bernard Sécly, suivront Dom Abeilard, un achat à réclamer de chez François Mathet puis Pappagallo, un achat en provenance de chez Paul de Moussac (à l’entraînement chez Gilles Delloye) qui terminera l’année 1976 par une victoire à Saint-Cloud (Prix Bridaine), la première en plat pour Jean-Pierre Binet. L’année suivante, il s’impose dans le Prix Exbury (Gr. 3) puis fera les beaux jours de son nouveau propriétaire, Edmond Bidart.
Les années 1978-79 furent ses deux meilleures avec comme fer de lance, l’ancien élève de François Mathet, Frère Basile (entraîné par Bernard Sécly) et l’irlandais, Dickens Hill, acheté 34.000 Guinées yearling à Newmarket par son futur entraîneur irlandais Mick O’Toole (plutôt un spécialiste de l’obstacle).
- Frère Basile (Djakao) se classe second du Prix Noailles puis François Mathet se laisse convaincre par les offres de Jean-Pierre Binet : il enlève aussitôt le Prix Hocquart et se classe second du Prix du Jockey Club (à un nez d’Acamas). Vainqueur du Prix Ganay à 4 ans, il terminera ensuite 2e d’Ile de Bourbon dans la Coronation Cup. Accidenté à l’aube du Prix de l’Arc de Triomphe (celui de Three Troikas), il entrera au haras. Il n’aura pas le temps de tracer puisqu’il est décédé au Haras du Petit Tellier après seulement une année de monte (parmi ses fils, Mont Basile, Fondouk, 2e Prix du Cadran).
- Dickens Hill (issu de la première production de Mount Hagen) remporte, pour les couleurs de la première épouse de Jean-Pierre Binet (Louise Leal, casaque gros-vert, manches et toque cerclées gros-vert et noir), les Irish 2000 Guinées 1979 puis se classe second du Derby d’Epsom (devant Northern Baby) et du Derby irlandais, à chaque fois devancé par Troy. La même année, Dickens Hill s’impose dans les Eclipse St. dans lequel Northern Baby (qui portait les couleurs de Mme Anne-Marie d’Estainville) terminera à la 3ème place. Dickens Hill sera ensuite exporté aux USA, au profit de John Gaines, où il a fait ses devoirs d’étalon.
Dickens Hill termine ici 2ème de Troy dans le Derby d'Epsom 1979
En 1980, Buckpoint (Buckpasser), élevé par Mme Cino Del Duca, enlèvera le Prix Maurice de Nieuil (Gr. 2) pour Mme Binet et Bernard Sécly devant Proustille et Perrault. Il sera ensuite exporté aux USA où il est vainqueur de Gr. 3 et second des Canadian International Championship (Gr. 1). Au haras, il n’effectuera que trois saisons de monte avant de décéder.
Nés en 1978 et en 1979, Kings Lake et Anfield seront la propriété de Jean-Pierre Binet, associé au team de Coolmore et entraînés par Vincent O’Brien.
- Kings Lake (Nijinsky) est vainqueur des Irish 2000 Guinées, des Sussex St., du Joe MacGrath Memorial St. (futur Irish Champion St.) et se classe 2e des St James’s Palace St. et 3ème du Prix Jacques Le Marois de Northjet (entraîné par Olivier Douieb à Chantilly). Au haras, il est, entre autres, le père de Wedding Bouquet…..d’où Moonlight Cloud.
Kings Lake est le père de la grand-mère de Moonlight Cloud
- Anfield (Be My Guest) s’impose dans les Railway St. (Gr. 3) et Desmond St. (Gr. 3) et terminera second du Prix Perth en 1982 à 3 ans. Il fera une partie de sa carrière d’étalon en Irlande puis au Japon. Il est le père, entre autres de Turfkonig.
Née en 1977, Mill Princess (Mill Reef) s’imposera à 3 ans dans le Prix de Vaucresson à Longchamp, entrainée par Bernard Sécly. Elevée par Moyglare Stud Farm (Walter Haefner), elle est la sœur d’Irish Ball (Irish Derby et 3e Derby St.) et de Irish Bird (la future mère de Assert et Bikala).
Née en 1978, Arctique Royale (Royal and Regal) s’imposera à 2 ans dans les Moyglare Stud St. (Gr. 2, à l’époque) pour son éleveur, P.J. Prendergast. A 3ans, pour les couleurs de Jean-Pierre Binet, elle enlève les Irish 1000 Guinées et se classe seconde des Pretty Polly St. (Gr. 2 à l’époque).
Née en 1978, Perle Marine (Lyphard), élevée par le Baron David de Rothschild, s’imposera à Saint-Galmier à 3 ans pour l’entraînement de Robert Collet après celui de Bernard Sécly. Son seul produit, élevé par Kilfrush Stud, s’appellera Claire Marine (What a Guest), une semi-classique en France puis une championne aux USA après avoir été vendue à l’issue de son année de 3 ans.
Ces 3 pouliches, Mill Princess, Arctique Royale et Perle Marine feront partie de l’effectif de Kilfrush Stud pour lequel nous consacrerons un second épisode.
Fin de l’aventure en 1982 avec encore quelques bons sujets comme Palace Gold (carrière chez B. Sécly, puis étalon), Empery Card (F. Boutin), et chez Robert Collet, Salute et Kashneb (ce dernier, acheté pour l’obstacle par JP Binet à l’issue de sa carrière en plat puis étalon).
Pourtant en 1987, on remet le (petit) couvert avec un fils de Sharpen Up, Exactly Sharp qui s’impose dans le Prix des Foals (L.) (futur Prix de la Huderie) avant de finir 4ème du Prix de la Salamandre (de Common Grounds). A 3 ans, il s’impose dans un Gr. 3 en Allemagne avant d’enlever le Prix Lupin avec le meilleur chrono (avec une piste mesurée à 2,7) (qui restera le record !).
Il y aura aussi, Robert le Diable (Roberto) et Sentimental Side (Diesis). Cette dernière, achetée à Keeneland, se classera 2e du Prix de Condé, 3e du Prix Saint-Roman et 4e du Prix de Diane (de Lady In Silver). Elle ne donnera qu’un seul produit élevé par Kilfrush.
Quelques autres chevaux à l’effectif dont un chez Nicolas Clément (en 1995), Chimère (en 1996, 2e de Listed), Spleen (qui deviendra la mère de bons chevaux d’obstacles), Mateka.
L’année 1997 verra le tout dernier partant de Mme Jean-Pierre Binet, la première épouse.
Née en 1997, New Story (Dynaformer), achetée yearling à Keeneland pour $25.000 sera la dernière pouliche à l’effectif. Seconde de Lady of Chad dans le Prix Marcel Boussac (Gr. 1), elle est ensuite exportée aux USA où elle termine 3ème du Del Mar Derby (Gr. 2) et 4ème des Matriarch S. (Gr. 1) pour les couleurs de Mme Jean-Pierre Binet, la seconde épouse (Chantal de son prénom) et l’entraînement de Neil Drysdale.
Elle deviendra la mère de New Girlfriend et de New Gibraltar, le dernier partant en France de Richard Strauss.
Née également en 1997, Trust In Love (Exit To Nowhere), placée de Listed pour Mme Binet, rejoindra le haras de Kilfrush et deviendra la mère de Inthemoodforlove (Anabaa). Cette dernière sera également placée de Listed pour Richard Strauss et sera vendue ensuite au Qatar.
Notes :
New Girlfriend : Prix Robert Papin (Gr. 2), de Seine et Oise (Gr. 3), Yacowlef (L.), 3ème Prix de Sandringham (Gr. 2), 4e de Beauty Is Truth (sa compagne de couleurs) dans le Prix du Gros-Chêne (Gr. 2).
Robert Collet
Robert Collet a reçu sa licence d’entraîneur en 1973 à 25 ans, soit depuis 40 ans exactement.
Né près de Rambouillet en 1948, il a toujours gravité autour du cheval puisque son père était stud-groom. Il effectue son service militaire à Saumur et choisi, ensuite, de rentrer dans la profession en effectuant un stage chez les Cunnington, père et fils, chez qui travaillait ses deux frères dont Gérard, jockey d’obstacles chez John Sr.
Robert Collet en 1985
Voulant voler de ses propres ailes avec un premier cheval de « récupération », il a sollicité un permis d’entraîner qui lui permettait de rester au service de son maître d’apprentissage. Le permis lui est refusé par les Instances dirigeantes ce qui l’a amené à prendre une licence professionnelle. C’est avec deux chevaux et quelques associés et propriétaires qui faisaient leurs premiers pas, eux aussi que Robert débute. (Michel Engel, Mme Antonio Trueba, Alain Scemama entre autres). Il est fier, et on le comprend, de raconter qu’il n’a pas ravi de propriétaires à d’autres confrères puisque ces casaques étaient inédites.
Bien évidemment, ses premiers pensionnaires sont issus des achats à réclamer. Cependant un certain Son of Love (acheté 40.000 F. aux ventes d’Auteuil pour Mme Trueba) lui apporte son premier Gr. 1, non pas en France mais à Doncaster dans le Saint-Leger 1979.
Son premier client «important» financièrement a permis l’achat de Kashneb, payé 400.000 F. à 2 ans. Puis viendront des chevaux, autres que des réclamers, comme No Attention (vente Batthyany), First Prayer (à l’amiable). Ces bonnes opérations ont amené d’autres propriétaires. La première casaque de prestige est celle de Mme Jim R. Mullion (que lui a fait connaître Freddy Palmer) qui lui a permis de seller victorieusement Ukraine Girl dans la Poule d’Essai des Pouliches (montée par Pat Eddery), son premier Gr. 1 en France.
Notes :
- Avant l’arrivée des frères Boutin, il faut savoir que Robert Collet détenait le record du plus grand nombre de partants dans une même année, le record du plus grand nombre de sorties pour un même cheval (9 sorties, deux fois plus que la moyenne à l’époque)
- Jim Mullion, décédé en 1988, était propriétaire en Irlande d’Ardenode Stud (le futur haras de Sean Mulryan) et Ragusa Stud.
- S’il a débuté avec quelques boxes, il louera ensuite la cour Pharis, un ancien établissement de Marcel Boussac, qu’il achètera moins de 4 ans après.
Richard Strauss
Richard-Charles Strauss (de son pseudonyme, Rick) a reçu l’agrément de la Société d’Encouragement en 1985, soit depuis près de 30 ans et nous posons la question « que ceux qui ont déjà vu Rick dans l’enclosure des balances lèvent le doigt ». Cet inconnu a quand même eu un certain nombre de partants en France (plus de 2500) et de vainqueurs (plus de 300) mais personne, pour ainsi dire, ne sait « à quoi » il ressemble. Chaque vainqueur était reçu, à la place qu’il lui était réservé, par Jean-Pierre Binet qui était, en fait, le représentant, l’homme de confiance de Rick en France. Ses tous derniers vainqueurs notables ont pour noms, Royal Bench (le frère du top-price des ventes d’août 2013 de Deauville), Glorious Sight et Immortal Verse.
Robert Collet et Immortal Verse
Richard-Charles Strauss est un citoyen américain, né en mars 1945 à Dallas, marié à Diana King depuis août 1972 avec qui il a eu 3 enfants. Professionnellement, il porte d’innombrables « casquettes » dont celui de gros, très gros promoteur immobilier (construction d’une ville entière par exemple). Il est issu d’une grande famille texane dont la plupart des membres sont fondateurs d’affaires importantes à Dallas (y compris le pétrole) et Washington mais aussi très impliqués au plus haut niveau dans la politique.
Siège du Republic Property Group à Dallas, société fondée par Richard-Charles Strauss en 1967
Son père, issu d’une famille émigrée d’Allemagne, Robert Schwartz-Strauss (dit « Bob », une évidence) a été une figure politique non seulement au Texas mais aussi au niveau national. Encore étudiant, il faisait partie de la première campagne (1937) du futur Président Lyndon Johnson. Il s’est marié à Dallas en 1941 avec Helen Jacobs (décédée en 2006), qui lui a donné 3 enfants : Susan (épouse de George Breen), Robert-Arno (dit « Rob », marié à Olga) et Richard-Charles (dit « Rick).
Président du Parti Démocrate entre 1972 et 1977 sous l’ère de Jimmy Carter, il a été nommé, par George Bush père, ambassadeur des USA en URSS (le dernier) et en Russie (le premier jusqu’en 1993). Il a servi son pays sous l’ère Carter, Reagan et Bush.
La casaque de Richard-Charles Strauss
Avocat réputé, Bob est, à la sortie de la guerre, co-fondateur à Dallas d’un cabinet d’avocats, Akim Gump Strauss Hauer & Feld, qui employait plus de 900 avocats dans 15 villes différentes (aujourd’hui, ils seraient plus de 2000 à travers le monde et le siège se trouve à Washington).
Ses activités l’ont même amené à siéger à la Commission bancaire du Texas et fut président de la Commission chargée des relations commerciales entre les USA et la Russie.
Sa belle-sœur, Annette, épouse de Ted (Théodore), était également une figure au Texas. Elle a été élue maire de Dallas de 1987 à 1991.
Notes :
- Robert Strauss et Helen ont 7 petits-enfants dont Jenifer qui est à la tête d’entreprises fondées par son grand-père.
- Si vous ne connaissiez pas Richard-Charles, voici enfin sa photo.
On a retrouvé Richard-Charles Strauss en photo !
La main heureuse dès la première année
En 1985, Richard-Charles Strauss achète à René Aubert (propriétaire chez Robert Collet), No Pass No Sale, son premier cheval, deux jours avant la Poule d’Essai des Poulains (le cheval avait gagné la préparatoire, le Prix de Fontainebleau). Premier partant, première victoire, pas n’importe laquelle, un « Classic ». Le fils de Northfields, né à Kilfrush Stud, a commencé sa carrière d’étalon au Haras de Saint Pair du Mont avant d’être exporté au Japon.
No Pass No Sale
L’année suivante, il remporte l’une de ses plus brillantes victoires avec Last Tycoon dans la Breeders’ Cup Mile à Santa-Anita, monté par Yves Saint-Martin. Il abordait la distance pour la première fois après avoir été sacré champion sprinter des 3 ans en Europe grâce à ses deux succès de Gr.1 en Angleterre, la Sprint Championship à York et les King’s Stand St. à Royal Ascot. Agé de 3 ans, le fils de Try My Best est né de la première production de Mill Princess, la pouliche de Jean-Pierre Binet (une pouliche, également de Try My Best, est déclarée mort-né l’année précédente). Evidemment on souhaite à tout propriétaire de débuter ainsi.
Last Tycoon et Yves Saint-Martin sous la casaque Strauss dans la Breeders Cup Mile 1986
Notes :
- Si Robert Collet a entraîné la majorité de l’effectif, Richard Strauss avait, les premières années, placé également quelques pensionnaires chez Gérard Collet et Jean de Roualle.
- Kilfrush Stud n’appartenait pas à notre inconnu. Dans un entretien à bâtons rompus, Robert Collet nous a confié que « Kilfrush appartenait à une compagnie (peut-être basée au Texas ?) dont le manager était Jean-Pierre Binet. Richard Strauss, quant à lui, louait les chevaux pour leur carrière de courses (un peu comme la famille Wildenstein et Dayton Ltd) managé par Jean-Pierre Binet en France».
- Le haras ayant été vendu à un qatari (lire l'article), nous reviendrons, dans un prochain épisode sur les familles maternelles élevées à Kilfrush Stud ayant porté la casaque cerclée vert et blanc de notre inconnu.
Lire aussi : Kilfrush Stud, sous pavillon qatari (2/3)