Courses à Rostov : le Russie est-elle américaine sur les bords ?

06/11/2012 - Actualités
Les courses russses sont l'objet de nombreux fantasmes, comme le pays en entier d'ailleurs. A la découverte du pur-sang au pays des Tsars et des Soviets, à Rostov, pour la dernière réunion classique de l'année 2012.

Parmi les 2 pays capables de révolutionner le monde, ce qu'ils ont d'ailleurs déjà tenté de faire pendant un sombre 20e siècle, il y a la Chine et la Russie. Beaucoup moins organisée que la Chine, et corrompue par un système politique fait de barons locaux enrichis pas très honnêtement mais à la solde du nouveau Tsar Wladimir Poutine, lequel ferme les yeux tant qu'on vote pour lui, la Russie n'a pas encore engagé sa poussée économique dans le monde. Mais ça viendra.

 

Ceci n'est pas une statue de Lénine ni de Poutine, mais un grand poète de Rostov.



De façon assez surprenante, on ne connait presque rien des courses dans ces deux pays. En Chine (à part Hong Kong bien sûr), le jeu étant interdit par l'atroce morale communiste qui perdure, il est compliqué de faire des courses de chevaux. Mais un énorme projet va voir le jour en Mongolie intérieure, sur lequel France Galop et Arqana sont d'ailleurs partenaires.

 

 

La Russie : pays ancien et nouveau en même temps



Quant à la Russie, elle reste encore une terre d'aventuriers. C'est pourtant un grand pays de courses qui n'exploite pas son potentiel, exactement comme pour l'agriculture et tant d'autres aspects de l'industrie. Le drame soviétique a ruiné le pays et à part Moscou, qui ressemble aujourd'hui à une grande capitale occidentale, le pays ne s'est pas remis de 70 ans de dictature...du peuple.

 

Des chevaux bien présentés



Malgré cela, les courses ont survécu tant bien que mal. Mais paradoxalement, la fin de l'ère soviétique a plongé le système dans l'agonie. En effet, jusqu'à 1989, il y avait 110 hippodromes en Russie, avec un peu de jeu autorisé, mais un seul et unique propriétaire éleveur, un seul et même sponsor et financier: l'Etat. Lorsque celui-ci s'est écroulé sur lui-même, Les haras d'élevage sont tombés en désuétude, les propriétaires n'existaient pas par nature et la plupart des hippodromes, situés en Centre Ville mais n'ayant aucune raison économique viable, ont vite été la proie des promoteurs immobiliers. Il en reste 5, dont 1 seul au nord du pays : Moscou.

 


Les courses pourtant bel et bien sont une vieille tradition russe. La preuve, l'hippodrome actuel de Rostov qui est l'objet de ce reportage est né en 1902, tandis que l'association des courses de la région remonte à 1870 ! Tout s'est effondré en même temps que le mur jusqu'en 1999 lorsqu'un certain intérêt est revenu. Tous les hippodromes survivants ont été acquis par des privés, sauf celui de Moscou. Une association d'hippodromes est née en 2006, mais a fait banqueroute 3 ans plus tard...

 


Pourquoi tout devrait changer ?



Mais les choses vont changer maintenant. Pourquoi ? Tout simplement parce que Wladimir Poutine l'a décidé et pondu une loi pour cela. Et quand le Tsar décide, les choses se font. Il adore les chevaux, se fait souvent photographier en leur compagnie et ses filles passent leur temps à cheval. Il a maintenu à bout de bras l'hippodrome de Moscou, freinant la femme du maire de la ville, promoteur à ses heures perdues, et qui rêvait de récupérer le terrain. Donc Wladimir 1e a décidé que les courses seraient désormais organisées et développées globalement. Il a crée une association Ippodrom Russie, qui réunit les hippodromes d'Etat dont Moscou mais à l'exception des privés. Hors, ces derniers restent les plus actifs au sud du pays, Pyatigorsk, Krasnodar, Rostov, dans les contrées des cosaques où le cheval fait partie de la culture ancestrale.

 

Valeriy Ovtcharov, le directeur de l'hippodrome de Rostov.

 

Le patron de Gazprom en 1e ligne


La rumeur court que les choses pourraient être tout à fait simplifiées dans la mesure où le richissime et ultra puissant patron de Gazprom, le producteur principal de gaz et pétrole russe, a pris la tête d'Ippodrom Russie et devrait aussi acquérir là moitié des propriétés de tous les hippodromes privés. Et voilà comment tout peut s'arranger ! Donc l'objectif est de créer un système de courses et une système de jeu unifié.

Tout est réuni pour le développement. L'argent coule à flot. Pas tant dans les allocations de courses, qui n'ont toutefois rien à envier avec de la province française (à mettre en rapport avec des prix de pensions de 500 à 1000 € mensuels). L'argent est est plutôt dans les poches de propriétaires locaux, dont on sait d'autant mieux qu'ils sont richissimes compte-tenu de la hauteur des investissements notamment en France, où ils sont nombreux à acheter chevaux et même des écuries à Chantilly. Mais en Russie, ils investissent moins et même se cachent derrière des noms d'écuries. Il ne faut pas montrer ostensiblement aux gens de impôts qu'on a des chevaux de courses, car comme en France, le jeu préféré de nos frères russes est de frauder l'administration fiscale.

 

Le gagnant du Critérium, qui est la plus grande course de vitesse sur 1000 m, pour 2 ans et plus,  est un beau gris né aux USA, American Meshuga, fils de Macho Uno.

 

La Russie des chevaux: un vrai savoir-faire



Il y a de l'argent et aussi du savoir faire. Car malgré l'enfermement soviétique, l'impossibilité de se construire par comparaison aux autres nations, et même d'améliorer son élevage par les échanges avec l'étranger, les courses et leur participants font plaisir à voir. Rien de folkorique ici. De beaux chevaux bien dressés et préparés courent vite et droit, montés par des jockeys qui savent monter à cheval. Il reste plein de choses à faire. Il n'y a que 500 à 600 poulinières pur-sang et les étalons saillissent 20 juments chacun tout au plus. Il n'y a aucun marché intérieur. Les propriétaires sont peu nombreux et préfèrent acheter des chevaux à Keeneland. Ils lâchent au total 4 à 5 millions de dollars tous les ans dans le Kentucky.

 

L'hippodrome de Rostov appartient au grand fabriquant d'huile de tournesol.

 

Des courses américaines.


Inimaginable a priori, une journée aux courses à Rostov, un des grands hippodromes au sud du pays, pour sa dernière et principale réunion annuelle le 30 septembre, avec les Critérium pour 2 ans et le Derby pour les 3 ans, fait penser à une réunion américaine. L'organisation est parfaitement huilée, minutée. Il y a 16 courses au programme, toutes les 25 minutes. Chacune est précédée d'un appréciable défilé des chevaux devant le public, dans l'ordre des numéros bien sûr.


 Les tribunes sont assez grandiloquentes, dignes de l'architecture soviétique, mais bien conçues avec de nombreux espaces coupées qui évitent les courants d'airs des bateaux ivres parisiens. Toutes les pistes russes sont en dirt ou synthétique, plates, corde à gauche. Les courses y sont rapides et gagnées pour plus de la moitié par des chevaux portant le suffixe US. Bref, on se croirait dans une contrée de l'Amérique profonde version sud, où la peau brune et tanée n'est pas celle des chicanos ou des mexicains mais celles des hommes des fameuses anciennes républiques qui étaient dans l'Union Soviétique et dont tous les noms finissent par "stan", comme le Kasakstan, Turkménistan, Daghestan...De nombreux partants viennent de ces pays, mais aussi 500 chevaux sont fixés à l'entrainement à Rostov pendant le meeting qui dure d'avril à septembre et comporte 200 courses. C'est le même principe qu'aux Etats-Unis !

 

A. Alockov, l'entraineur du gagnant du Derby, est installé dans la mystérieuse République de Kabardino-Balkarie.

 

Le Derby pour un fils de Titus Livius entrainé en Kabardino-Balkarie  ! (c'est une république caucasienne...)



C'est donc le grand jour en ce 30 septembre en Russie, avec l'ultime grand réunion classique avant d'attaquer l'hiver, où tous les hippodromes du pays sont fermés à cause du climat. Le public garnit bien les tribunes. Ici à Rostov, l'hipppodrome qui appartient a un magna de l'huile de tournesol court tous les dimanches. Alors les habitants de cette ville d'un million d'habitants (petite ville russe...) se sont habitués et ont pris rendez-vous. Et ici dans le sud, les gens sont beaucoup plus chauds qu'au Nord, c'est comme partout dans le monde. Ce sera du délire dans l'entourage du vainqueur pour l'envolée dans le Derby de Golden Hello, un magnifique alezan a qui a pulvérisé l'oppostion de bout en bout. Ce dernier est entrainé par M. Alockov dans une République caucasienne totalement inconnue, la Kabardino-Balkarie....Son propriétaire souhaite rester discret mais il est venu sur place. C'est M. Bifov. Il est propriétaire de plusieurs chevaux en Angeleterre et en France, dont l'excellente More Than Sotha chez Francis Graffard.

 

Fils de Titus Livius, Golden Hello a remporté le Derby de bout en bout, perdant ses adversaires en route.

 

Le souvenir vibrant d'Anilin

Né aux Etats-Unis, Golden Hello est un fils de Titus Livius, qui a été un bon flyer en France sur la casaque de la Famille Niarchos. Que vaut-il internationalement. Pas facile de comparer car le Jockey-Club russe n'est pas reconnu par les instances internationales. Il fut un temps, en pleine guerre froide où le champion russe Anilin avait marqué l'histoire en venant courir le Prix de l'Arc de Triomphe. Celui qui était considéré comme un extra terrestre avait conclu 5e de l'année exceptionnelle de Sea Bird devant Reliance et Diatome. Il avait battu le champion américain, Tom Rolfe 6e...Par ailleurs, Anilin a gagné 3 fois le Preis Von Europa en Allemagne et conclu 2e du Washington DC chez les ennemis jurés d'Amérique ! Mais cela remonte aux calandes grecques. Plus près de nous, en 2012, un bon cheval russe du nom de Sélim a été envoyé chez Dominique Sepulchre. Il a gagné d'emblée une bonne course à conditions à Nantes au printemps, mais n'a pas répété. Mais ça changera, car la Russie changera bien un jour.

 

Anilin, né en 1961, reste le plus grand champion né en Russie.


 

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