La Head-mania (1e partie) : les Gladiateurs dans les arènes de Longchamp

13/11/2013 - Grand Destin
 C’est lors d’un diner réunissant 340 invités au Dorchester Hotel à Londres qu’ont été remis les Cartier Awards (une cérémonie créée en 1991) consacrant, par un vote, les meilleurs chevaux de l’année en Europe. Les deux titres principaux ont été attribués à la famille Head, Trêve pour le titre de meilleur cheval de l’année et Moonlight Cloud, le meilleur cheval d’âge. PAR XAVIER BOUGON

Christiane Head-Maarek a été honoré au Cartier Awards de Londres grâce à Trêve, tout comme son frère Freddy grâce à Moonlight Cloud. Tout deux descendent d'une très riche famille des courses qui a marqué la France depuis plus de 150 ans.

La statue qui orne l’entrée de l’hippodrome de Longchamp représente un certain Gladiateur, un gagnant français de la Triple Couronne anglaise au 19e siècle. Il était entraîné par Tom Jennings, le grand-grand oncle de Criquette et de Freddy, les entraîneurs et éleveurs, héros du 6 octobre dernier. La famille Head débute donc par l’arrivée en France des deux frères Jennings en 1836.

 
 
Le cent cinquantenaire de Gladiateur, le vengeur de Waterloo

 
Encore yearling, la carrière de Gladiateur a commencé sur les pistes d’entraînement en fin d’année 1863 à Royallieu, un des centres d’entraînement du comte Frédéric de Lagrange (jusqu’en 1878), près de Compiègne, il y a donc tout juste 150 ans. Tout le mérite de la carrière de Gladiateur en revient à la famille Jennings et en particulier à Tom, entraîneur «en chef» de la formidable écurie du Comte Frédéric de Lagrange stationnée à Phantom House à Newmarket. En France, les yearlings étaient débourrés à Royallieu par Charles Pratt (grand entraîneur-jockey) avec comme superviseur hivernal Tom Jennings qui franchissait la Manche plusieurs dizaines de fois par an.
 
Gladiateur est né en 1862 à Dangu (près de Gisors dans l’Eure) de parents français : Monarque et Miss Gladiator. Il débutera victorieusement en octobre de ses 2 ans à Newmarket puis s’imposera à 3 ans dans les trois épreuves de la Triple Couronne anglaise (2000 Guinées, Derby, St-Leger) ainsi que dans le Grand Prix de Paris. Avant son retour à Newmarket, Tom Jennings le laissera à Paris où il fut l’objet de visites ininterrompues.
 
Pensez-donc, il avait battu les anglais…ce qui lui vaut d’être «statufié» à Longchamp. L’engouement du public français pour les courses était né. L’année suivante, il accrochera à son glaive, l’Ascot Gold Cup et le futur Prix Royal-Oak (ex Grand Prix du Prince Impérial qui avait une autre renommée qu’aujourd’hui). Médiocre reproducteur, il n’obtiendra pas le titre honorifique de «cheval du siècle» opposé à Ormonde et Saint Simon.
 
Notes :
 
Miss Gladiator, la mère de Gladiateur, était née à Vineuil chez Thomas Carter en 1852. Elle avait peu couru et, encore maiden, avait été retirée de bonne heure de l’entraînement à la suite d’un accident. Achetée par le comte de Lagrange comme poulinière en raison de son pedigree, elle avait déjà donné 2 produits sans importance quand elle est présentée à Monarque. Celui-ci éprouvait pour elle une véritable aversion, bien plus attiré par une autre jument nommée Liouba. Aussi pour obliger Monarque à saillir Miss Gladiator, on usa d’un subterfuge : on le laissa longtemps en présence de Liouba, puis lui ayant bandé les yeux, on substitua Miss Gladiator à sa jument préférée. A l’exception de Gladiateur, Miss Gladiator ne donnera que des produits insignifiants !
(transcription d’un écrit quelque peu romancé de Ned Pearson rapporté dans l’Historique des Courses de Chevaux d’Henry Lee).
 

Gladiateur, le vengeur de Waterloo qui a déclenché la passion des courses chez le public français, ici avec son entraineur Tom Jennings, ancêtre de Criquette et Freddy Head.

 

La filiation Jennings-Head, l’histoire d’entraîneurs anglais au service de la France
 
C’est ainsi que l’historien britannique Robert Black qualifiera, avec un brin de chauvinisme, la venue des Jennings en France. Il qualifiera les frères Jennings de «Princes» de Chantilly. Criquette et Freddy sont donc affiliés à la famille Jennings par le mariage de leur grand-père William Head avec Henrietta Jennings, la fille d’Henry Jennings (né en 1817 à Little Shelford, pas très loin de Newmarket où il est décédé en 1893), frère aîné de Tom (1823-1900).
Le grand-père d’Henrietta, John (1782-1851) tenait un relais de poste entre Cambridge et Newmarket. Son père, Henry, et son oncle, Tom débuteront en France en 1836 au service de Thomas, le doyen des Carter et le doyen des entraîneurs anglais en France installéà La Fourrière à Chantilly après avoir été «chef des écuries» (le terme employé à l’époque), à partir de 1831, de Lord Henry Seymour (premier président et membre fondateur en 1833 de la Société d’Encouragement), chemin de la Révolte à Sablonville, vis-à-vis la Porte Maillot.

Voir le tableau généalogique des Head-Jennings à la fin de l'article.
 
Thomas Carter fait venir Anne-Mary sa sœur (née en 1813 ainsi appelée pour ne pas confondre avec Mary-Ann Carter, sa nièce née en 1832), d’Angleterre pour «tenir» la maison. Elle deviendra Mme Henry Jennings, mais décèdera à 74 ans (juin 1887), sans progéniture. Henry (surnommé Old Hat, en raison de l’immuable chapeau haut de forme gris dont il était toujours coiffé, hiver comme été) s’était distingué en sellant 5 lauréats du Prix du Jockey Club et 10 lauréates de Prix de Diane (dont la première édition). Il «scandalisa» le « tout Chantilly» à 70 ans. Devenu veuf, sans enfant, et presqu’aveugle, il prend sa retraite en fin d’année 1887 et épouse en 1888, en secondes noces, sa très jeune petite nièce (par alliance) qui était à son service en qualité d’infirmière et faisait office de femme au foyer (Mathilda Watkins, née en 1867) dont il était éperdument amoureux. Elle lui donnera 3 enfants :
 
  • Ruthie (Ruth) Jennings (née en novembre 1888 à Paris 16e etdécédée en 1988, à 100 ans) épousera Emile Grassal, propriétaire-éleveur à Carentonne-Cottage près de Bernay où il fabriquait le Camembert « Le Derby », une marque déposée. Le couple donnera naissance en avril 1913 à une fille Netta-Mary (dit Pussy) qui vit encore actuellement aux USA où elle a épousé, en 1939 à Los Angeles, Patrick Drury avec qui elle aura 2 enfants (Michael et Valérie).
Il faut savoir que c’est en 1944 que Carentonne fut complètement détruite par le délestage d’une bombe d’un avion allié. La famille Grassal avait déjà vendu la fromagerie dans les années 30.
 
Son père Henry quittera définitivement la France pour l’Angleterre en 1889 où sa jeune femme donnera naissance à deux autres enfants :
 

John-Hare Park (Jack) Jennings(initiales JHP) (né à Newmarket en 1890 et décédé à Touques en 1977) était surnommé Le Pasteur pour ses homélies percutantes comme diacre à l’église anglicane de Maisons-Laffitte et son extrême bonté. Il débute son apprentissage en 1909 chez George Batchelor (son beau-père, le second mari de sa mère, évoqué plus loin). Il a été Cravache d’Or 1923, vainqueur cette année-là du Grand Prix de Paris avec Filibert de Savoie. Il remportera également celui de 1926 avec Take My Tip portant les couleurs de James Hennessy et entraîné par George Batchelor. En selle sur la grande Uganda, il gagne le Prix de Diane 1924 (son second), une pensionnaire de Frank Carter. Il a été aussi le pilote de Lovelace, de Mackwiller, de Sourbier entre autres. Jack fait la connaissance de Mabel Escott au mariage de son frère William Escott avec Madeleine Batchelor (voir plus loin). Il l’épousera et elle lui donnera deux enfants, Anthony et Grace Jennings. (Grace a vécu à St Germain en Laye et donnera naissance à 9 enfants).



L'église anglicane de Maisons-Laffitte, où l'un des frères Jennings se faisait
remarquer par ses interventions percutantes.
 
  • Henrietta (Netta) Jennings est née en avril 1891 à Newmarket et décédée en 1977. Elle épousera le 20 juin 1916, William Head avec qui elle aura 3 enfants. Un chapitre que nous aborderons un peu plus tard.
 
L’ainé, né en 1917, Gérald, mort pour la France en juin 1940 à St-Valéry en Caux et ses frères Pierre et Jacques Alexandre (qui sera l’objet d’un chapitre que nous aborderons un peu plus tard)
 
A sa mort, Henry Jennings laisse à sa femme et à ses 3 enfants une belle fortune.

Notes

- Henry, après avoir été jockey, se voit confier en 1841, l’écurie naissante du prince Marc de Beauvau (né en 1816, décédé en 1883, descendant d’une famille originaire de Craon) associé ensuite à son frère Etienne, à La Morlaye. Après de brillantes années, Henry est sollicité par le Duc de Morny (demi-frère de Napoléon III) comme entraineur particulier, c’est ainsi qu’il déménage en 1862 à La Croix Saint-Ouen au château d’Aramont près de Verberie (Oise) dans une écurie louée à Hippolyte Mosselman. (banquier bruxellois, propriétaire du domaine depuis 1840).
 
- La gagnante de la première édition du Prix de Diane (1843), Nativa (achetée par le prince Marc de Beauvau à la liquidation de Lord Seymour), était entraînée par Henry Jennings et montée par son frère Tom (Thomas). C’était la victoire inaugurale d’une longue série de succès classiques pour les deux frères.
 
 - A la mort du Duc de Morny (1865, l’année de la Triple-Crown de Gladiateur), il devient entraineur public (une première à l’époque) dans ses murs, une écurie qu’il avait fait construire, toujours à La Croix Saint-Ouen, au lieu dit Le Bac Hameau. C’est ainsi qu’avec cette nouvelle licence, il se verra confier les pensionnaires des plus grandes casaques du moment.
 
 
Henry Jennings
 
 
Mathilda Watkins-Jennings-Batchelor

 
Mathilda Watkins (née en 1867 à La Croix Saint-Ouen) était la fille du jockey Arthur Watkins et de Mathilda (née Flatman en 1837), les parents également d’Arthur Jr (entraîneur) et d’Edouard (le crack jockey, pilote de La Camargo, entre autres). Arthur Sr, jockey au service d’Henry Jennings, décédera à 32 ans (août 1875) des suites d’une chute à Dieppe (après avoir été 3 fois Tête de liste entre 1865 et 1868). Son épouse était décédée un an plus tôt à 36 ans à La Croix Saint Ouen en juin 1874. C’est ainsi que Mathilda, sera orpheline de bonne heure. Pour l’anecdote, sa cousine Marguerite Watkins deviendra la mère du crack jockey, George Stern.(né à Chantilly, d’un père entraineur).
 
Veuve de son mari Henry Jennings, Mathilda se remariera avec George-Ruby Batchelor (l’entraîneur particulier de James Hennessy installé dans un premier temps au Mesnil le Roi avec comme fer de lance, un certain Lutteur III) avec qui elle aura 6 enfants dont 5 filles :
 
  • Madeleine, sœur jumelle de Marguerite (nées au Mesnil le Roi en mai 1897) épousera, en avril 1919, William Escott (surnommé Billy, sœur de Mabel, progéniture du célèbre entraineur anglais, Harry). Deux mois plus tard, il enlève le Grand Steeple-Chase de Paris avec Troytown puis en octobre suivant décède suite à une chute dans le Prix Congress (une épreuve enlevée par William Head), au même obstacle (le talus à revers) que son beau-frère, Charles Hawkins, 3 ans plus tard.
  • Helena (née au Mesnil le Roi en juin 1898, décédée à Chantilly en juin 1995) épouse Charles-Owen Hawkins, un jockey doué et titulaire d’un beau palmarès, qui décédera des suites d’une chute dans la dernière réunion d’Auteuil, le 14 décembre 1922 au même obstacle que son beau-frère William Escott, 3 ans plus tôt. Il s’agissait d’un réclamer sur le steeple que montait également les deux frères Head, Robert et William. Lors du réaménagement des parcours en 1924, la Société des Steeples-Chase fera modifier sensiblement l’obstacle en question. En outre, Charles Hawkins avait terminé au pied du podium du Grand National 1922 après être tombé et remonté.
  • Diane (née au Mesnil le Roi en 1908) épousera le fils de Charles Clout (un contemporain de William Head, entraineur entre autres de Verso II, Montenica pour le Cte Hubert de Chambure), William Clout (né en 1912 à Poissy, l’assistant de son beau-père et père de Tony).
  • Leur frère, Gérald, (né en 1895) est décédé en 1917 dans un hôpital londonien après avoir été «transbahuté» en train et en bateau après d’atroces souffrances suite à une blessure dans les tranchées de la Somme.
     
 
George Batchelor, l'entraineur de Lutteur III qui a gagné le Grand National de Liverpool en 1909.
 
 
Notes
 
- Harry Escott (décédé en mars 1948) était entraineur à Lewes, au sud-est de l’Angleterre (près de Plumpton), avec une solide réputation après ses 3 succès dans le Grand National de Liverpool avec Lutteur III (qui lui avait été confié par George Batchelor en début d’année, le mesnilois restant officiellement sous sa responsabilité) et Poethlyn par deux fois. C’est à lui également que revient tout le mérite de la victoire de Troytown dans le Grand Steeple-Chase de Paris 1919 (même si officiellement les résultats mentionnent le nom de Charles Carter) monté par son fils William Escott. Troytown gagnera l’année suivante le Grand National, mais fera une chute mortelle dans le Prix des Drags (il serait enterré au cimetière des chiens à Gennevilliers).
 
- Poethlyn s’était imposé dans l’édition 1819 avec comme «pilote» Ernie Piggott (le grand-père de Lester) devant Ballyboggan (monté par William Head) et Pollen (monté par le fils cadet d’Harry, Anthony Escott). Harry Escott était également le père de Mabel qui a épousé Jack Jennings, le beau-frère de William Head.
 
-Le site de Lewes était le premier centre d’entraînement de Robert Robson, une légende anglaise vainqueur de 7 Derbies d’Epsom, qui avait été le maître d’apprentissage de Thomas Carter.
 
-Helena et Madeleine Batchelor, les deux sœurs, avaient donc épousé deux jockeys d’obstacles. Toutes les deux (à 3 ans d’intervalle) assisteront depuis les tribunes au drame qui se jouait sur la piste.
 

-Leur père, George Batchelor avait déménagé du Mesnil le Roi pour s’installer au Bois Saint-Denis à Chantilly (où il entrainera pour Arthur Veil-Picard entre autres, tête de liste des propriétaires à de multiples reprises)  à proximité de l’Hôpital des jockeys. C’est de cette écurie que Mathilda, sa femme, partait en voiture à cheval lors de la 1e guerre mondiale, pour aider et remonter le moral des troupes composées presque essentiellement d’anglais. Sa fille, Henrietta, en faisait autant à la différence qu’elle avait aussi des dons d’infirmière.

 
 
Voici résumé brièvement la carrière de l’un des «Princes» de Chantilly, l’arrière grand-père de nos deux héros du 6 octobre dernier-
 
Bibliographie : Bulletin de la Société des Amis du Château de Maisons-Laffitte et de Guy Thibault : L’épopée de Gladiateur, Un autre regard sur les courses, Auteuil, hier et aujourd’hui, Au cœur des Jockeys…
 
 
 

George Batchelor avec son propriétaire Arthur Veil-Picard.
 
 
William Head Senior, une carrière française….merci à Messieurs les anglais
 
 
Le père de William Head est venu s’installer en France en 1884, alors que sa famille est restée en Angleterre. Fils de commerçants londoniens, William Head Sr (1860-1936), jockey dans son pays natal, avait été interdit de monter en Angleterre pour avoir enfreint le code des courses. Immigré sous le nom de William Johnson, il débute en France en s’occupant des chevaux des officiers de Saumur. Il obtient sa licence de jockey en 1885 avec comme point d’orgue une victoire dans la Grande Course de Haies d’Auteuil 1889 (un an avant la naissance de son fils William) avec Vanille appartenant à Eugène Adam. Il reprit le nom de William Head en 1897 quand fut votée une loi autorisant les étrangers venus en France sous un nom d’emprunt à recouvrer leur nom d’origine. Le 20 septembre 1903, il fait une chute grave dans un steeple-chase à Craon, le Prix Horace Vernet, qui l’immobilisera pendant 4 mois à l’hôpital.
 
Il avait épousé le 21 juillet 1886 à Londres Regina Springer, fille de Jean (capitaine de l’armée hollandaise), un descendant du peintre hollandais Cornelis Springer, qui lui donnera 7 enfants, presque tous nés à Saint-Germain en Laye dont deux futurs jockeys et entraîneurs, Robert-George (né le 1e décembre 1897 à Maisons-Laffitte) et William-Henri, l’ainé des garçons de la famille.
 
Notes :
 
 - William Johnson remporte dès le mois de février 1885 sa toute première course en France sur le terrain d’Achères, en forêt de Saint-Germain. Dix-huit ans plus tard, il mettra fin à sa carrière de jockey avec un palmarès de plus de 200 victoires (1885 à 1903).
 
-Robert-Georges n’a pas eu la même réussite que son frère William. Apprenti chez James d’Okhuysen puis jockey d’obstacles comme son frère, il a terminé l’année 1921 dans le top 10 avec 31 victoires derrière son frère (48). Il totalise une centaine de succès puis tout en continuant à monter, il se consacre à l’entraînement à partir de 1924, un métier qu’il arrêtera en 1940. Il est décédé en juin 1980 à Pau.
 
-Outre les deux futurs jockeys, Mme William Head donnera naissance à Régine, l’aînée (Marie, Wilhelmine, née en juillet 1887 et décédée en 1955 à Maisons-Laffitte), à Elizabeth (septembre 1888), Jessy (septembre 1892), Georges (novembre 1893). Après la naissance de Georges, leurs parents, qui avaient habité St Germain en Laye, s’installent à Maisons-Laffitte, rue du Gros-Murger, la maison où est né le dernier, Robert.
 
 
William-Henri et Alec Head, tel sera le sujet du prochain épisode.
 

 

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