Nouveau roman en série de Guillaume Macaire, chapitre 1 : convalescence

25/03/2021 - Actualités
Célèbre entraineur mais aussi peintre et écrivain, Guillaume Macaire nous livre son nouveau roman " Les hommes dans l'action, les femmes dans la continuité ", dans le cadre d'une série hebdomadaire. Découvrez-ci dessous le chapitre 1 : Convalescence. Ce roman est la suite de son 1er ouvrage " A pied, à cheval ou en voiture. ", qui par ailleurs disponible en téléchargement complet. En partenariat avec Dynavena.
 
 
 
Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "
 
 
 
 
 
 
 
Chapitre 1 : CONVALESCENCE
 
 
 
Après quelques jours d’hôpital où il était resté très vaseux suite à son opération, puisqu’il avait bien fallu extraire cette balle qui avait quand même fait du dégât, Jean-Barnabé commençait à reprendre du poil de la bête et à presque avoir des fourmis dans les jambes. Il commençait à s'ennuyer ferme.
 
Il n'était pourtant pas question de quitter les lieux tant qu'il aurait des drains dans la cuisse. Dehors, septembre flamboyait et il comptait les semaines qui lui restaient à passer enfermé derrière ces vitres, puis les jours et bientôt les heures.
 
C'est sa mère qui vint le chercher pour le reconduire en terre cantilienne pour une convalescence qui ne le réjouissait pas du tout. La fin de la saison des courses plates se profilait à l'horizon et il espérait bien pouvoir remonter en courses avant.
 
Il avait encore un peu mal aux muscles de la cuisse mais surtout à l'os du fémur que la balle avait touché, et il avait fait un début d’ostéomyélite. Durant le voyage qui les ramenait dans l'Oise, Vonette lui fit promettre de ne pas prendre de risques et de respecter les deux mois et demi de rééducation que la faculté avait recommandés.
 
Elle comprit vite que la seule obsession de JB était de se retrouver dans les pelotons le plus vite possible et, contre cela, même les mots les plus choisis n'étaient pas de taille à lutter.
 
Dans quinze jours ce serait le premier dimanche d'octobre et Longchamp se parerait de ses plus beaux atours pour l’événement de l'année : le Prix de l'Arc de Triomphe. Il en avait rêvé Jean-Barnabé ! Il l’avait espéré, imaginé, échafaudé, mais en cette fin de septembre, il lui fallait se rendre à l’évidence. Il n'y aurait pas d'Arc, ni pour lui, ni pour Enigmatique.
Sans le consoler, car ce n'était pas possible, la décision de Brian Devonlodge de faire l'impasse sur la grande épreuve de Longchamp pour son pensionnaire le rendit un peu moins triste... le pire eût été de voir Enigmatique gagner avec un autre que lui sur son dos!
 
Le cheval s'était finalement plutôt bien sorti du traitement que lui avaient infligé les deux malfaisants, mais il fallait lui laisser le temps d'effacer tous les stigmates de cette parenthèse normande avant de retravailler sérieusement, et en un mois ce n'était pas possible. Aussi, dès la mi-septembre, Devonlogde annonça à la presse sa décision de s'abstenir pour cette année. La manière dont il formula sa volonté aux journalistes laissait donc entendre que l'année prochaine, peut-être ?... l'Arc serait dans ses projets.
 
Jean-Barnabé avait eu le temps d'éplucher les journaux de courses durant son séjour à l’hôpital de Rouen, et en toute logique, aucun détail sur  « l'affaire »ne lui avait échappé. Ces lectures étaient sa seule distraction car, à part sa mère, il n'avait pratiquement vu personne. Seuls des journalistes étaient venus lui tirer les vers du nez, et bien sûr la police qui régulièrement revenait à la charge.
 
Pour lui, il faut l’avouer, la mort d'El Renco avait bien arrangé les choses car le dossier était classé et El Renco n'irait plus raconter de balivernes qui auraient pu le mettre en porte-à-faux. Quand à Larry, toujours selon la presse, il s’était caché une journée et une nuit dans les bois autour de Sainte Gauburge Sainte Colombe avant que la maréchaussée ne le retrouve et l'encercle. Ils l’avaient sommé de se présenter «  mains en l'air ».
 
Il n’avait pas bougé, et après plusieurs sommations, avait sorti de sa poche l'arme dont il avait fait usage sur J.B dans l'Opel, et qu'il avait sans doute conservée pour se rassurer pendant sa chasse à l'homme. Il ne trouva pas le courage d'en faire usage contre lui-même, l’avait détournée de sa face rougeaude et défaite, et l’avait pointée en direction de la compagnie de gendarmes mobiles, assuré qu’il était de déclencher ce faisant un feu nourri en sa direction, ce qui l'envoya ad patres sans autre forme de procès.
 
En effet, malgré son incommensurable bêtise, Etienne Larieutord, surnommé Larry, avait bien compris qu'avec la mort d'Eddy Rimbourg et celle de José Martinez dit « El Renco » sur les bras, plus le rapt et le reste, l'addition allait être salée… et entre la geôle et la balle, il avait donc fait son choix. Avec de telles péripéties, inutile de dire que dans les bistrots cantiliens où il y a matière à entendre « la même, patron ! » l'affaire pourtant, comme toutes les autres, finit par s'éroder et on passa à autre chose.
 
Dès qu'il fut en état de se mouvoir sans béquilles, détail important puisqu'il ne voulait pas que chez Devonlodge on pense « Ce n'est pas demain qu'il va remettre les chiffons », la première visite de JB à la cour Devonlodge le mit très mal à l'aise. Il s'y était rendu en fin de matinée quand le personnel était moins affairé et son patron retiré dans le calme de son bureau, car il avait choisi un jour où il n'y avait pas de courses plates en région parisienne. Les lads qui, au vu de son statut, étaient déjà avant cette funeste aventure plutôt respectueux à son égard sans obséquiosité toutefois, ne changèrent rien à leur comportement et échangèrent quelques banalités avec lui.
 
La situation était un peu dérangeante mais on était déjà passé à autre chose, le soufflé était retombé...
 
De toute façon, il n'avait que faire de l'avis de ces garçons qui pour beaucoup d’entre eux le jalousaient, pensant qu'ils n'avaient pas eu la même chance que lui...la chance, c'est à voir, le talent en revanche c'était une certitude, mais aussi la détermination, le bon sens et probablement une forme d'intelligence.
 
Ce qui lui pesait vraiment, c'était de revoir son patron.
 
Certes Brian Devonlodge avait pris de ses nouvelles une fois à l’hôpital de Rouen, mais JB avait eu le sentiment que c'était essentiellement par convention. Pour être franc, il redoutait même cette entrevue, craignant de constater sa mise à l’écart. Non sans préalablement avoir respecté le protocole en usage pour demander audience au « governor », Jean-Barnabé arbora un sourire sincère et rayonnant qui éclaira le bureau un peu sombre de son patron au point que ce dernier, d'évidence parti pour « le battre froid », ne put faire autrement que de répondre à son jockey par un détonnant : « Par exemple, en voilà une surprise! » plein de jovialité. JB avait beaucoup ruminé pendant ces longues semaines où il était alité et par-dessus tout il craignait que Brian Devonlodge, fort contrarié par tout cela - on le serait à moins -  ne le considère comme responsable de cette odieuse affaire.
 
La relation de JB avec Noélia Martinez qu'il ne pouvait pas ignorer n’était-elle pas la seule explication, pour lui, de la présence du frère de cette dernière dans le dispositif ? La conversation fut badine mais cordiale et franche. Hélas, la sonnerie du téléphone empêcha JB d'aller plus loin. Brian Devonlodge lui fit comprendre en plaquant le combiné sur son veston, qu'il était temps pour lui de prendre congé et finit avec un « On se voit bientôt » interrogatif.
 
JB n'était pas plus avancé et rentra chez lui peu rassuré. Sa mère était restée près de lui pour sa première semaine de convalescence, elle le conduisait chez le kiné tous les jours mais dès qu’il fut redevenu quasi autonome, elle s'en retourna à son commerce en Seine Maritime. La maison lui sembla alors subitement vide et un immense sentiment de solitude l'envahit… il pensa à Noélia. Finalement, elle avait fait le vide autour de lui. Elle s'était ingéniée à écarter ses amis d'avant. Par sa seule présence, à la façon d'une duègne, elle avait fait comprendre à ses relations que les soirées apéritives se prolongeant jusqu'à des heures avancées de la nuit appartenaient au passé.
 
Elle avait appelé l’hôpital de Rouen après son anesthésie et son retour du bloc mais il n'était pas encore assez en état pour s'exprimer vraiment. Elle avait renouvelé ses appels jusqu'à ce qu'on lui passe la chambre 210 qu’il partageait bien malgré lui avec une vieille femme qui n’arrêtait pas de parler avec des idées très arrêtées sur tout et rien. Elle refusait en particulier de se faire opérer par le chirurgien de couleur qui lui avait été dévolu, prétendant qu'il « venait des hauts plateaux cet homme là ».
 
En faisant le siège téléphonique du standard, Noelia était parvenue à ses fins et tentait un retour en grâce par tous moyens utiles. Cette fois, JB serait déterminé et inflexible. Il lui fallait sortir définitivement de sa vie « la belle andalouse de Lamorlaye ». Il n'était allé avec elle que de problèmes en déconvenues et il avait à présent la désagréable sensation d'être la risée générale. Il avait la nette impression que ses pairs pensaient qu'il s'était fait abuser par Noélia, et qu’elle le manipulait de A à Z.
 
Même s'il voulait encore lui trouver des circonstances atténuantes, car il osait croire que c'était involontairement qu'elle avait donné l'idée à son frère de rançonner Luis Palos de Moguer, il s'était mis à douter.
 
Il se surprenait à penser que la cupidité viscérale de Noelia qu'il n'avait pas véritablement mesurée, aveuglé qu’il était par sa beauté hispanique, Cupidon n'ayant pas arrangé les choses de surcroît, pouvait très bien lui avoir inspiré ce plan diabolique exécuté par son frère. Ce qui est certain, c'est qu’il avait perdu toute confiance en elle, le scénario, qu'elle avait élaboré, ou non ? en étant la première raison. Pas assez sûr de lui pour affronter Noelia, il suppliait l'infirmière de l'empêcher d'accéder à sa chambre, se doutant que cette dernière n'était pas insensible à sa personne.
 
Noelia tenta bien un siège devant la porte mais l'heure des visites ayant expiré, les infirmières eurent tôt fait de l'évincer. Elle laissa passer un peu de temps après qu’il soit rentré à Lamorlaye et une circonstance favorable (plus opportuniste qu'elle, difficile de trouver) lui donna l'occasion de l'approcher...
En quittant le salon de coiffure où elle officiait toujours faute de mieux, elle aperçut la Giulietta rouge garée devant le café de la gare où JB était attablé avec quelques gars du métier. Elle vint s'immiscer dans la conversation en prenant soin de ne  parler qu’aux autres d'abord, certaine que son charme validerait sa présence impromptue. Elle était restée debout et dominait ainsi l'aréopage bistrotier et masculin que son décolleté avait totalement subjugué.
 
Excédé par son comportement, JB se leva et se dirigea vers la sortie d'un pas décidé. Elle stoppa net ses minauderies, le rattrapa par l'épaule et, approchant sa bouche de son oreille, lui susurra : « J'ai une grande nouvelle pour toi, je suis enceinte! ».
 
Il sortit de l'établissement d'abord incrédule y voyant là un stratagème pour capter son attention puis, une fois dehors il s'adossa à un tilleul tout en cherchant ses mots car il était encore secoué par cette déclaration.
Ou c'était du flan et elle allait le promener pour reprendre la main, ou c'était la vérité et elle avait bien organisé son affaire...
« Je t'assure que c'est vrai, » lui dit-elle en le regardant droit dans les yeux avec une fierté non dissimulée, teintée tout de même d'une arrogance non moins occultée.
 
« Si tu m'avais laissé te parler à l’hôpital je te l'aurais dit plus tôt mais je te rappelle que tu m'as fait chasser par tes infirmières comme une malpropre. »
Très déstabilisé, JB prit sa tête dans ses mains pour cacher sa rage. Une fois de plus, il était l'instrument de la volonté de Noelia car il était certain qu'elle avait tout programmé. Et dire qu'elle prétendait qu'il n'était pas question d'avoir un enfant avant d'être mariée dans une famille chrétienne comme la sienne… que son père la tuerait si elle était enceinte… qu'elle prenait la pilule depuis qu'elle couchait avec lui… et d'autres mensonges du même acabit… !
 
Elle lui souriait, béate, suffisante jusqu'à l'arrogance, et acheva en lui disant : « Enfin, cela devrait te faire plaisir de savoir que tu vas être papa? »
Submergé par une émotion viscérale et toute la répulsion que lui inspirait sa relation avec elle, JB se mit à marcher en rond autour du tilleul espérant trouver quelque chose à répondre...quelque chose qui claquerait bien et fort, quelque chose qui lui ferait suffisamment mal pour qu'elle s'en aille….Il en fut bien incapable. Elle sentit son désarroi et n'attendit pas pour le mettre à genoux.
« Il va falloir te mettre en face de tes responsabilités, » lui dit-elle en écrasant une feuille de tilleul du bout de son escarpin rouge pour se donner une contenance détachée.
« Mais qu'est-ce qui me prouve que c'est vrai tout cela ? » articula t’il lentement en espérant une réaction déstabilisante.
« Je sais de quoi je parle, tu peux me croire… on va se revoir très bientôt, » lui dit-elle avec une inquiétante détermination.
Puis, elle tourna les talons et il la vit disparaître au coin de la rue.
 
JB remonta dans sa voiture, sans démarrer pour autant. Il vit sortir du café ses camarades qu'il avait complètement oubliés. Ils le virent au volant de sa Giulietta assortie aux escarpins de Noélia et l'interpellèrent : « On devait fêter ton retour et tu nous plantes là comme des couillons, alors JB qu'est ce qui t'arrive? » Il avait les larmes aux yeux et malgré la pénombre ils s'en aperçurent. Le laissant à son sort pour ne pas en rajouter, ils s'éclipsèrent discrètement.
Il resta de longues minutes avant de repartir en direction de chez lui, pour retrouver cette villa qu'il commençait à ne plus aimer.
De solution immédiate, il n'en avait pas. Que faire? Il pensa un instant en parler à sa mère mais il éluda vite cette solution, du moins pour l'instant. Il tournait en rond dans son salon comme un lion en cage, en proie à une rage qui le submergeait. « Elle a bien monté sa course » pensa t’il avec effroi. « Il ne manquerait plus que cela se sache dans Chantilly...et ma cote va en prendre un sérieux coup. Pourvu que cela ne vienne pas aux oreilles de Devonlodge. »
 
Une semaine passa, lentement. Sans nouvelles de Noélia. A part ses séances de kiné et quelques après-midi aux courses, la vie de JB était figée. On était maintenant fin octobre et l'Arc s'était couru laissant à JB et sûrement à l'entourage d'Enigmatique des regrets bien fondés. C'est le troisième du Jockey Club qui l'emportait, sans brio mais avec courage. Il était évident qu'Enigmatique était une classe au-dessus de celui-là. « Les absents ont toujours tort » dit la maxime. La nostalgie et l'impression d'être passé à côté du graal ou peut-être pire d'avoir loupé la marche qui menait au succès absolu, avaient complètement envahi Jean Barnabé.
 
Son mal-être à l’idée d'une paternité non désirée venait s’ajouter à une récupération bien plus longue que prévue. Pour faire un essai et juger de sa mobilité, il était remonté à cheval et sentait bien qu'il avait encore mal à la cuisse. Il était d'autant plus inquiet que ses compagnons l'avaient également décelé. Il lui fallait impérativement recouvrer toutes ses bonnes sensations dans les tous prochains jours sous peine que la rumeur -et elle court vite dans le métier- ne l'affuble des pires adjectifs.
 
Mais le jockey est un vrai sportif, règle à laquelle JB ne dérogeait pas.
Aussi, quelques semaines plus tard, il avait récupéré toute son intégrité physique montant ses trois lots quotidiens sans fatigue anormale. Ce n'était pas une balle dans la cuisse qui allait l'écarter de la scène hippique, pensait-il. L'affectation physique n'était rien comparée aux dégâts qu'avait produits toute cette histoire sur son moral. Il devait le lendemain repasser devant le médecin des courses et il n'y avait aucune raison pour que ce dernier ne lui réaccorde pas sa licence de jockey.
 
La satisfaction qu'il éprouva en passant le poteau en vainqueur en cette ensoleillée après-midi clodoaldienne fut immense et c'est avec les yeux brillants d'émotion mais aussi un peu de larmes, même si il ne voulait pas qu'on les vit, qu'il mit pieds à terre dans l'enclosure des vainqueurs. Avec le plat de la main, il assena une grande claque virile mais affectueuse à son partenaire tout en dessellant avec une  lenteur certaine comme pour savourer l'instant un peu plus longtemps.
 
Il avait remis la machine en route! Les turfistes l'appréciaient visiblement encore plus qu'avant, ses aventures normandes l'ayant fait connaître de tous les amateurs de faits divers.
 
Octobre touchait à sa fin et la saison des courses plates aussi. Il restait novembre mais les épreuves y sont plus clairsemées et surtout de valeur sportive bien moindre. Le sport des rois n'a jamais fait bon ménage avec les terrains mouillés de l'arrière-saison, qui ont vocation à fausser les arrivées, et l'aptitude particulière aux pistes profondes n'est surtout pas l'apanage de la classe pure en général.
 
Une autre satisfaction importante fut le premier gagnant qu'il refit pour « la maison ». C'était la première fois qu'il se retrouvait à nouveau assis sur un Devonlodge et cela lui tenait vraiment à cœur. Il voyait bien que Brian Devonlodge ne cherchait pas particulièrement la discussion avec lui. Jusqu'alors, tous les « Palos de Moguer » avaient été montés par d'autres, dans des courses d'apprentis et d'amateurs il est vrai, et il ne pouvait donc pas en prendre ombrage. Mais dans son for intérieur, il avait la nette impression qu'une ombre planait au-dessus de sa tête et que son patron n'extériorisait pas tout. Intérieurement, il en souffrait et décida de crever l'abcès, se rassurant en se disant que « la meilleure défense est toujours l'attaque »...
 
Après son dernier lot, il traversa la cour pour aller trouver le boss dans son bureau. Chemin faisant, il croisa Tom Elliott le premier garçon qui avait repris du service le matin même suite à une chute sévère. Les yearlings étaient arrivés pendant qu’il était aux mains de la faculté et c'était avec eux, du moins au début toujours, assez mouvementé. Un yearling s'était cabré sur le maître d'école que montait Tom, lui endommageant sérieusement le genou avant de le renverser de sa placide monture affectée au dressage des poulains pour leur montrer les bonnes manières.
 
« Pour le deux ans qui débute après demain, tu sais, le frère du Palos de Moguer qui a gagné en Angleterre et que tu avais galopé deux, trois fois avant Deauville, si possible tâche de rentrer dans les derniers car il panique vite dans les boîtes. Tu as une stalle au milieu et si tu es gentil avec Lulu il fera ça de bon cœur ».Intérieurement, JB ressentit une immense joie de se retrouver de nouveau aux commandes d'un Palos de Moguer.
 
Du coup, il se ravisa et ajourna sa visite dans le saint des saints. « Si je me retrouve déclaré sur un Devonlodge/Palos de Moguer, c'est que les nuages ont disparu et que le temps fera son œuvre. Les choses reviennent dans leur position d'avant Deauville » se rassura-t’il. Il restait un vrai mystère. Qu'est-ce que Devonlodge savait exactement sur son rôle dans l'affaire de l'enlèvement d’Énigmatique? Certes les trois protagonistes clefs de cette histoire, maintenant ad patres, ne risquaient pas de parler... mais Noélia ?
 
Avait-elle joué un rôle actif dans ces événements ? Elle était capable de tout pour parvenir à ses fins. Elle était capable d'inventer les plus rocambolesques histoires pour se faire épouser. Mais il n'était pas sûr que son frère l'ait mise dans la confidence, et pour se rassurer il se dit que si elle avait dû faire pression par le chantage, elle aurait probablement déjà agi.
 
Le soir, en rentrant des courses parisiennes tardivement à cause des sempiternels bouchons, il passa devant le salon de coiffure où Noélia exerçait ses talents, au moment de l'extinction des enseignes au néon de l'établissement. Il s'étonnait que la belle brune ne se soit pas manifestée de nouveau. Il s'était écoulé une quinzaine de jours depuis son annonce de possible paternité. Il était vraiment surprenant et même anormal qu'elle ne soit pas remontée au créneau.
 
Il décida donc d'aller la trouver le lendemain soir, jour de courses au trot, à sa sortie du salon. Il se parqua de manière à voir et ne pas être vu. Il vit sortir les employées une à une mais pas Noélia. Quand tout fut éteint et qu'il vit la dernière des coiffeuses fermer à clef la porte vitrée, il s'extirpa de son Alfa Roméo pour trouver la shampouineuse en charge de la fermeture.
 
« Noélia n'est pas là ? » questionna t’il
« Vous n'êtes pas au courant ? » répondit-elle. « Noélia a donné sa démission et est repartie en Espagne. Elle a hérité de la « finca » de son oncle «  per Extremadura », c'est près du village où ses parents sont enterrés je crois. »
 
Ainsi, elle avait décampé.
Si cela réglait (momentanément) un problème, JB eut l'impression désagréable et bizarre qu'elle le volait encore, elle lui volait son enfant. A l'idée de se retrouver propriétaire terrienne, elle n'avait sans doute pas résisté longtemps... engrossée mais avec un statut, elle retournait dans son pays d'origine qu'elle n'avait pourtant jamais connu.
 
La fin de la saison fut satisfaisante pour JB en termes de résultats mais il n'avait plus devant lui comme auparavant le rêve Énigmatique. Avant, tous les jours, Énigmatique avec la quête du nec plus ultra lui offrait le bonheur de se projeter dans un avenir enchanteur.
 
L'hiver était là, les courses en sommeil pour deux bons mois, et d'aventures sans lendemain en week-end de ski dans les Alpes, février allait pointer le bout de son nez.
 
Brian Devonlodge décida d'envoyer un contingent de chevaux sur la Côte d'Azur pour le meeting de Cagnes sur Mer. JB fut pressenti pour y monter les chevaux de la maison. Il reçut la nouvelle avec une vraie joie car il s'ennuyait un peu dans ce Chantilly engourdi par le froid où il ne se passait pas grand-chose de bien excitant. Cagnes sur Mer en février avec ses mimosas, ses palmiers majestueux et la grande bleue pour leur servir de miroir est une parenthèse enchantée aux allures de vacances. Même s'il faut travailler, c'est une villégiature que les gars du métier se disputent et ce rêve est facile à comprendre pour qui est du voyage.
 
Le beau temps ne quitta pas les lieux durant ce mois de février de courses azuréennes et JB ne regretta pas le déplacement, bien au contraire. Le succès fut pour lui au rendez-vous! Il récupéra les montes d'un entraîneur autrichien venu avec huit chevaux depuis Vienne et en fit ses choux gras, s'imposant à cinq reprises. Leur jockey s'était cassé la clavicule en tombant le jour de leur arrivée (au pas!) dans la cour où étaient stationnés leur chevaux !
 
Comme la cavalerie Devonlodge n'était pas en reste non plus, il repartit avec une jolie moisson de victoires et de places. Il se serait même laissé aller à suivre Cupidon et ses flèches si l'ombre de Noélia ne planait pas toujours au-dessus de sa tête, lancinante. Comme « chat échaudé craint l'eau froide », à la seule idée de ce qui pourrait l'attendre à la fin d’une nouvelle liaison, il se contentait d’aventures avec celles qui pensaient comme lui qu'il faut bien que le corps exulte !
 
Tout ce beau monde s'en revint à Chantilly tout guilleret mais d'entrée, le climat calma les belles dispositions! Il faut dire que passer l’après-midi dans des transats face à la méditerranée en chemisette par 25 degrés, est autrement plus agréable que d'affronter les brumes cantiliennes où même au meilleur de la journée le thermomètre a du mal à dépasser la barre des 10 degrés !
 
Quelques jours plus tard, entre deux lots, Brian Devonlodge pria JB de venir prendre un café au bureau... Bon ou mauvais augure? Telle était la question qui le taquinait en traversant la cour. En voyant la mine déconfite de JB quittant le bureau du boss, il n'était pas difficile d'imaginer que ce qu'il avait entendu de la bouche de son entraîneur ne l'avait pas réjoui ! Et pour cause…
 
Très embarrassé, Brian Devonlodge lui avait fait savoir que Luis Palos de Moguer venait de signer un contrat de monte avec un jockey sud-américain.
« Tête de liste dans son pays, il n'est sans doute pas le premier venu » commenta Brian Devonlodge, « mais il va devoir s'acclimater aux courses françaises et ce n'est pas si évident. En tous cas, ce n'est pas bon pour nous. Je vais devoir me résigner à perdre des courses au moins au début, et toi accepter de perdre la monte d'Enigmatique (le cheval de ta vie peut-être). C’est très dur j'en conviens! J'ai tenté de l'en dissuader, » commenta t’il encore, « mais rien n'y fait, d'autant qu'il avait pris cette décision sans m'en parler préalablement. Je suis désolé, sincèrement. »
 
JB fut touché au plus profond de lui-même et ne trouva pas mot à répondre...
Brian Devonlodge, qui était fin, évita de mettre de l'huile sur le feu. Comme une bonne moitié de l'effectif était composée des élèves de l'argentin, la marge de manœuvre de JB était considérablement réduite. Il lui faudrait trouver des montes ailleurs, ce qui n'était pas simple car quasiment toutes les écuries valables avaient des jockeys attitrés qui n'allaient pas laisser leur place à leur confrère Ermeline juste pour lui faire plaisir !
 
De fait, l'année qui venait ne se présentait plus sous les meilleurs auspices...
Pour qui croit en la justice immanente, elle fut vite rendue, et Palos de Moguer fut instantanément puni de sa décision bafouant morale et reconnaissance.
Enigmatique, auteur d'une superbe rentrée à Longchamp dans le Prix Ganay où il échoua du minimum (une courte tête) pour la gagne, courut médiocrement à sa sortie suivante où la victoire lui semblait pourtant promise.
 
Le lendemain, il était boiteux et, le surlendemain les vétérinaires diagnostiquèrent une fêlure de la première phalange. Si le pronostic sportif n'était pas engagé, l’entourage du cheval tirait néanmoins un trait sur la saison en cours. Luis Palos de Moguer, qui depuis le rapt de son champion voyait le mal partout, gratifia toute la cour d'une théâtrale déclaration en usant et abusant, comme il savait si bien le faire, du franco-espagnol qu'il utilisait en pareil cas. Il promettait un garde du corps jour et nuit devant le box de chacun de ses champions.
 
Son entraîneur et tous ceux qui travaillaient pour lui savaient bien qu'il n'y avait eu aucune malversation dans cet incident. Les raideurs du cheval l'année passée n'étaient pas étrangères à la fêlure d'aujourd'hui. Sa densité de qualité osseuse était moyenne pour ne pas dire déficiente et cette fêlure n'en était que la résultante.
 
« Encore heureux qu'il ne se fût pas mis la jambe en plusieurs morceaux comme cela peut arriver parfois à mi ligne droite au moment de l'effort suprême. Dans un pareil cas c'est l'euthanasie, et au-delà de la peine immense la perte est alors considérable. Dans le cas précis d’Énigmatique, même si il ne recouvrait pas tous ses moyens, une carrière d'étalon lui était déjà promise.”
 
La saison de JB Ermeline s'en ressentit nettement et il faut dire que tout jouait contre lui, d'autant qu'il circulait des bruits peu flatteurs sur sa personne.
C'est le propre de la rumeur. En partant d'un rien on peut mettre en péril des choses que l'on croyait indétrônables.
Le tandem Devonlodge / Ermeline restait néanmoins une machine bien huilée et bon an mal an ils terminaient toujours plus près du haut des colonnes que du bas de celles-ci.
 
Les mois passèrent ainsi jusqu'à la mort accidentelle de Luis Palos de Moguer. Grand voyageur devant l'éternel, on aurait pu penser qu'un jour un avion, un train ou une voiture devint son cercueil, ce ne fut pourtant pas le cas. Il succomba après s'être fait piétiner par un de ses troupeaux de vaches qu'il avait voulu déplacer vers d'autres pâturages sans l'aide de personne dans sa finca.
Brian Devonlodge géra très bien l'après Palos de Moguer en récupérant un gros propriétaire français, celui-là éleveur également et qui avait le vent en poupe.
Brian, qui avait élevé quelques bons éléments, avait des théories bien arrêtées sur l'élevage. Son cheval de bataille était qu'il valait mieux entraîner pour des élevages récents que pour ceux qui travaillaient depuis plus de vingt ans avec la même jumenterie. Sans renouvellement de sang neuf, statistiques à l'appui, on observe une dégénérescence des souches qui furent pourtant très performantes pendant les vingt premières années d'exploitation. Il avait coutume de dire : « Il faut vingt ans pour faire une souche et vingt ans pour la défaire ! », la statistique est toujours là pour en attester.
 
J.B avait toujours été curieux des choses de l'élevage. Dans un rêve idéaliste, il se serait bien vu finir ses jours dans une petite ferme à entretenir quelques poulinières pour faire naître une demi-douzaine de produits annuellement... Mais tout cela n'était que dans les rêves... Pour l'instant, il était jockey et avait de plus en plus de mal à faire le poids et sa carrière devenait de plus en plus alimentaire et de moins en moins classique...
 
A SUIVRE la semaine prochaine !

    

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