3 entiers sur le podium du Robert Lejeune : enrichit-on l'élevage ou appauvrissons nous les courses ?

24/09/2023 - Actualités
Master d'Oc, Léon du Berlais, et Jigme. Les 3 premiers du Prix Robert Lejeune (Gr.3) hier à Auteuil sont entiers, et cela pose une vraie question : est-ce que la course aux étalons "sauteurs" appauvrit nos courses ? Par Gabriel Weissmann. 

Les 3 meilleurs 3 ans d'Auteuil sont entiers : cela fait rêver, mais cela pose aussi question (aprh)

 

Un message d'espoir n'est pas toujours porteur d'espoir... En tout cas pas pour tout le monde ! Hier, la planète élevage s'est enthousiasmée de voir 3 entiers sur le podium du Prix Robert Lejeune (Gr.3) à Auteuil : Master d'Oc, Léon du Berlais, et Jigme, qui est le seul déjà annoncé au haras, en l'occurence au Hoguenet, dès la saison 2024. Master d'Oc lui, appartient en partie au Haras d'Etreham, et une installation à la Tuilerie en tant que premier fils étalon de Doctor Dino serait un évènement. Enfin, Léon du Berlais, né de l'une des plus belles branches de l'élevage Lucas, et fils d'Authorized, a lui aussi un avenir tout tracé au haras... Reste à savoir lequel. 

 

Master d'Oc au Haras dès 2024 ? C'est la question à 100 000 

 

Jigme ne courra donc pas l'an prochain, et quant au lauréat d'hier Master d'Oc, on l'imagine mal ne pas rentrer directement au haras s'il répète cet automne dans le Cambacérès. Quant à Léon du Berlais, rien n'a encore été indiqué, mais une victoire de Groupe cet automne, et pourquoi pas dans la belle, qui est son objectif ultime, sonnerait peut-être aussi sa fin de carrière sportive. Le business de l'étalonnage est devenu très compliqué, et surtout assez opposé à la construction de carrières longues. De fait, acheter un prospect étalon une fois qu'il a performé est devenu une affaire de millionnaires, et le "fabriquer" soi-même est un chemin semé d'embuches, car gérer l'entraînement d'un entier en obstacle est un travail de spécialiste. Surtout, avec les blessures, les déceptions, bref la vie des courses, il y a beaucoup d'appelés, pour peu d'élus. 

 

Ces dernières années, la course aux successeurs de Kapgarde (en photo) et Saint des Saints est lancée

 

La vie n'est qu'un éternel recommencement paraît-il, et la mode des jeunes sauteurs est revenue en force ces dernières saisons quand il s'agit de trouver un étalon. La tendance avait été un succès avec Saint des Saints et Kapgarde, 2 références du genre, mais qui présentaient la différence d'avoir performé au meilleur niveau à 4 ans. Parmi les recrues récentes (avec une première production âgée de 6 ans au maximum, ou encore à naître), on peut citer (liste non exhaustive) : Jeu St Eloi, Castle du Berlais, Choeur du Nord, Paradiso, Goliath du Berlais, Magic Dream, Na Has, Moises Has, Beaumec de Houelle, Nirvana du Berlais, King Edward, Tunis, et David du Berlais, toute nouvelle recrue à Cercy. Parmi ses 13 chevaux, 5 n'ont couru qu'à l'âge de 3 ans, le reste ayant recouru seulement à 4 ans. Sur les 8 restants, seul 4 ont réussi à gagner à cet âge (Goliath du Berlais, Moises Has, Beaumec de Houelle, Tunis). 

 

Goliath du Berlais fait partie des jeunes étalons d'obstacle qui ont le mieux performé à 4 ans avec Tunis et Moises Has...encore faut-il courir à cet âge ! 

 

La France, voire l'Europe de l'élevage obstacle a été friande de ces jeunes étalons, dont certains connaissent déjà une certaine réussite au haras. Mais cette course aux reproducteurs soulèvent plusieurs questions. La première : exige t-on la performance trop tôt pour ces jeunes chevaux ? Parmi ceux qui sont rentrés au haras directement à la fin de l'année de 3 ans, il y a le cas de la blessure, et celui du cheval déjà gagnant de Gr.1 dont on protège ce statut en ne risquant pas de "sous-performer" à 4 ans. En effet, si on parle vite de champion pour un 3 ans de Groupe, le public est aussi prompt à le descendre plus bas que terre au moindre faux pas. Bref, ce n'est pas simple de marketer un étalon, vous l'aurez compris !

 

Hypothéthiquement, il serait possible de voir Léon du Berlais, Master d'Oc et Jigme rentrer au haras tous les 3 dès 2024. On peut imaginer qu'ils connaîtraient tous, même à ce stade de leur carrière, un réel engouement de la part des éleveurs. Protéger le potentiel commercial d'un étalon n'est pas un problème en soi, car les conseilleurs ne sont pas les payeurs. En revanche, le problème que cela engendre est la perte de compétitivité de nos courses de Groupe, et la "fuite des talents". Si l'on s'insurge déjà depuis quelques temps du trop grand nombre de chevaux exportés outre-Manche, la tendance des "bébés étalons" est un autre problème de taille. Ce qui rend belles nos courses, et ce qui captivera le public, ce sont des vrais champions. Evidemment, ils ne sont pas tous entiers, ni tous de sexe masculin ! Mais vous conviendrez que la saison des 4 ans 2024 sera bien moins passionnante si les 3 leaders actuels partent étalon dès cet hiver. 

 

Les 3 premiers du Robert Lejeune, des fils...d'étalons de plat ! (aprh)

 

Pour revenir à Kapgarde et Saint des Saints, tous deux ont couru à 4 ans au meilleur niveau et gagné Groupe, et le premier cité n'avait même débuté qu'à l'automne de ses 3 ans, ce qui ne l'a pas empêché de devenir un sire de premier plan. Aujourd'hui, une victoire dans un Prix Rush ou un Wild Monarch vaut limite plus sur le papier qu'une victoire de Groupe à 4 ans. Preuve en est, en 2023, les 5 premiers du Prix Rush étaient entiers ce jour précis ! Or, il ne faut pas que la course à l'étalon se transforme en un sprint qui fonce dans le mur, d'autant que Kapgarde et Saint des Saints restent des cas isolés. 

 

St Donats, le seul lauréat de Cambacérès sur ces 20 dernières années issu d'un étalon ayant performé en obstacle (aprh)

 

Si le cheval d'obstacle est sans doute devenu plus précoce et véloce qu'auparavant, cela ne change pas la nature de l'effort que l'on demande à un sauteur au printemps de ses 3 ans. Or, un propriétaire ce qu'il veut, c'est voir son cheval courir, et cela doit rester l'essence même des courses. Dernier point sur nos 3 jeunes "couillus" du Prix Robert Lejeune : ils sont tous issus d'étalons de plat de tenue. Plus que ça, si on enlève St Donats en 2022 (par Saint des Saints), tous les gagnants du Cambacérès sur ces 20 dernières années sont issus de chevaux de plat ! Sur ce point, cela n'a pas changé, car les Garde Royale, Cadoudal, Poliglote et Martaline, furent eux aussi des bons stayers avant d'être identifiés en tant qu'étalons d'obstacle. Bref, si on a une idée précise où l'on va, il ne faut pas non plus oublier d'où l'on vient. Et si cette distinction se perd, les rares champions qu'ils nous restent, passée l'année de 4 ans, lutteront contre leur ombre après la dernière haie d'Auteuil.

Reste à savoir, dans les années à venir, si le prorata des gagnants du Cambacérès issus d'étalons sauteurs va augmenter de façon équilavente à l'augmentation des étalons sauteurs eux-mêmes disponibles eux-même sur le marché.

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