Pourquoi les débourreurs pré-entraineurs n'ont-ils pas de licence professionnelle ?

09/07/2024 - Actualités
Spécialisation créée il y a 30 ans, le débourrage pré-entrainement dans des structures dédiées prend désormais en charge la totalité ou presque des futurs partants des courses françaises. Et pourtant, les professionnels restent des inconnus officiels. Obtiendront-ils la licence qu'ils demandent depuis des lustres ?. Et pourquoi pas en même temps une forme adaptée de permis d'entrainer dans un cadre limité afin d'avoir le plaisir de seller quelques partants aux courses. Lisez les points de vue d'Henri Pouret, directeur général délégué de France Galop, David Lumet, Président de l'Association France Débourrage, et Jacques Le Dantec, président de l'Association des Propriétaires Permis d'Entrainer. Par Arnaud Poirier.

 

Voilà un sujet que je connais par coeur pour le suivre depuis le tout début, dès qu'il a été ouvert par mon regretté frère Yann Poirier. Installé en 1993, il fut l'un des précurseurs de la spécialisation dans le débourrage et le pré-entrainement en France, en même temps que David Lumet, son successeur à la tête de l'ADP. Encore à cette époque, le débourrage chez les yearlings se déroulait chez les entraineurs en fin de matinée. Mais pour de multiples raisons (temps, structures, personnel compétent et motivé), les entraineurs ne voulaient déjà plus s'occuper de cette étape pourtant cruciale dans la vie d'un futur cheval de course. Quant au pré-entrainement, ce n'était encore qu'un concept dans un cadre où les chevaux entrainés à Paris ne quittaient jamais les écuries, alors que tous les chevaux aujourd'hui à l'entrainement aux quatres coins de la France, surtout en obstacle mais aussi en plat, font plusieurs aller-retour entre les phases de repos au pré et de travail sur les pistes.

 


Yann Poirier, précurseur du débourrage pré-entrainement en France, créateur du Haras du Chêne et de l'Association France Débourrage, avait lancé combat de la réconnaissance du métier déjà bien avant son décès en 2015.

 

Yann Poirier a créé l'Association France Débourrage il y a 20 ans dans le but principal de faire reconnaître cette profession en développement constant, à tel point qu'elle occupe une place majeure dans la vie d'un cheval de courses. Cette spécialité doit être reconnue officiellement, en l'occurrence par la maison-mère de France Galop, et en parallèle par Le Trot pour les trotteurs qui fonctionnent exactement de la même façon. Les raisons en sont devenues évidentes, qu'elles soient administratives ou sanitaires, pour assurer le bon suivi et la transparence dans la vie du cheval à partir de son 1er jour de travail.

 


Le débourrage, un métier à part, une étape cruciale dans le vie d'un cheval de courses.

 

Cela implique évidemment le fait que les chevaux au pré-entrainement soient déclarés à l'effectif, et donc que France Galop ait le droit de réaliser des contrôles anti-doping. Cela implique également que le personnel, nombreux et qualifié, des centres de débourrage et pré-entrainement puisse bénéficier de la même convention collective et des assurances que celles des écuries de courses. Cette officialisation permettrait aussi de faire un peu de ménage parmi quelques charlatans qui font du mal à un métier totalement dérégulé en pratiquant des prix si bas que le travail est massacré, tout en mettant la pression sur les professionnels sérieux et donc plus chers.

 

 

Le truc est, et tout le monde est à peu près d'accord sur le principe, qu'il faut bien passer un jour à l'action. Après le décès accidentel de Yann Poirier, en février 2015, David Lumet a repris le flambeau de la présidence à son défunt collègue et ami, mais se désespère encore aujourd'hui de rester au milieu du gué. Toutefois, Henri Pouret, le directeur général délégué de France Galop, propose non seulement une analyse mais aussi des solutions :


"Effectivement, le sujet de la reconnaissance du "débourreur / pré-entraîneur" est sur la table depuis plusieurs années. Je me souviens très précisément du jour où Yann était venu m'exposer en détail la situation Place Abel Gance. A titre personnel, je considère qu'une reconnaissance devrait avoir lieu. Toutefois, nous avons achoppé pour l'instant sur le principe et les modalités de reconnaissance.

 


Henri Pouret, directeur général délégué de France Galop.



L'option la plus orthodoxe serait selon moi une référence aux déboureurs/pré-entraîneurs dans le décret du 5 mai 1997 portant sur l''rganisation des courses et ce au même titre que les propriétaires, les entraineurs et les jockeys. Cette option permettrait de reconnaitre cette profession dans un texte étatique et d'harmoniser son régime social et fiscal et surtout de garantir la moralité des personnes exerçant cette profession au travers de l'avis qui serait émis par le SCCJ. Pour ce faire, il faudrait une position commune trot/galop et un accord du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Agriculture avant d'obtenir une modification du décret de 1997 qui est un décret avec un formalisme particulier puisqu'il est pris après avis du Conseil d'Etat.

Une autre option serait un référencement dans le code des courses mais les garanties réciproques ne seraient pas du même niveau que celles mentionnées ci-dessus.
"

 


Nathan Vergne entouré de son équipe.

 

David Lumet doit mener un autre combat institutionnel en parallèle. L'officialisation par une licence professionnelle de France Galop serait une belle forme de reconnaissance pour tous les acteurs du débourrage et du pré-entrainement. Tous ceux-ci, et c'est bien humain, ont besoin de cette reconnaissance d'autant plus qu'ils jouent un rôle ingrat, dans l'ombre, qui consiste à forger et former de futurs athlètes sans jamais apparaître dans un programme ni goûter à l'adrénaline de la compétition. Ils n'attendent souvent en vain que quelques remerciements des hommes qui ont récolté la gloire quelques semaines seulement parfois après leur mission terminée.
 


Marie-Elyse Faivre dans la Saone-et-Loire.


 

Il y a quelques années, cette frustation était compensée par l'obtention d'un permis d'entraineur, pour les débourreurs ou leurs conjointes. Malgré un effectif limité légalement à 5 éléments en même temps (sur 10 au total dans l'année uniquement en propriété ou en location), certains ont obtenu de grands succès comme Freddy Lemercier, lauréat du Prix du Conseil de Paris (Gr.2) avec Saga Dream en 2013. Mais aujour'hui, l'APPE (Association des Propriétaires Permis d'Entrainer), présidé par Jacques le Dantec, a décidé de ne plus accorder de licence aux débourreurs, considérant que les permis d'entraineur doivent rester fidèles à leur charte, c'est à dire être des amateurs, vivant d'une profession extérieure au strict monde des courses. Les débourreurs pré-entraineurs se retrouvent ainsi en plein paradoxe : pas professionnels pour les uns, pas amateurs pour les autres...

 

Mais le temps qui passe fait parfois son oeuvre dans le bon sens. Francec Galop, via son directeur général délégué Henri Pouret, a bien pris en compte la situation et sait qu'il va falloir traiter le sujet à la faveur de la nouvelle mandature. De son côté, l'APPE via son président Jacques Le Dantec comprend très bien que les motivations des débourreurs sont louables et que ce ceux-ci, pour pouvoir courir avec quelques-uns de leur propre chevaux, ont impérativement besoin d'une licence spécifique.

 


Jacques Le Dantec.

 

Jacques Le Dantec s'exprime ainsi : " L'intégration des débourreurs-pré entraîneurs dans la catégorie des Permis d’Entraîner est possible, moyennant un cadre bien délimité. Le nombre de chevaux autorisés à l’effectif serait limité à 2/3 et concernerait des chevaux en propriété totale (aucune location, ni association ne serait acceptée). En outre, le titre de propriété devrait avoir une ancienneté au minimum de six mois avant la première course.

Il faut garder la notion « d’amateur » bien que le Permis d'entrainer soit un propriétaire « professionnel » au regard des services de Impôts (propriétaire « intervenant ») donc imposable sur les bénéfices. Il ne faut donc pas oublier que d’accepter un effectif de 5 chevaux porterait préjudice aux débourreurs-pré entraîneurs qui seraient en concurrence avec les entraîneurs professionnels.
On peut penser que les deux chevaux autorisés soient des chevaux d’âge utilisés comme leaders pour les poulains et qui permettraient à leurs propriétaires de « se faire plaisir », et non une activité commerciale.

Bien évidemment, mes propositions sont celles de l’APPE et seul France-Galop peut prendre la décision de cette ouverture."

 

 

 

 

En effet, le fait qu'ils obtiennent une licence publique est une fausse bonne idée. Car tous ceux qui ont agi ainsi, même en prévenant la terre entière que c'était simplement dans le but de courir de temps en temps un petit piquet de chevaux personnels, ont perdu du jour au lendeman la confiance des entraineurs qui leurs confiaient des chevaux, ceux-ci craignant automatiquement que le préparateur ne conserve le cheval et le client avec pour emmener tout le monde jusqu'aux courses à sa place... Il est bien dommage de perdre ainsi des partants potentiels, notamment en obstacle qui en manque tant, avec des chevaux d'âge qui servent souvent de leader pour les jeunes sauteurs au dressage le matin et aux yearlings fraichement débourrés lors de leurs premièères sorties en piste.

C'est pourquoi, en l'occurrence, une licence spécifique de débourreurs pré-entraineurs donnant droit à courir, sera d'autant plus protectrice pour l'avenir de son détenteur qu'elle sera totalement restrictive. Pour rappel, le règlement de France Galop indique qu'une licence peut être accordée par les commissaires de France Galop si tant est que le candidat soit approuvé par une association représentative. Par exemple, concernant l'APPE, le Président Jacques Le Dantec, avec son vice-président Claude Maynard, examinent les dossiers de candidatures des permis d'entraineurs, tous des amateurs, puis soumet son choix aux commissaires de France Galop qui rendent leur verdict ensuite.

Ce modèle peut tout à fait s'adapter aux débourreurs permis d'entraineurs, qui possèdent déjà avec l'ADP une association représentative, présidé par David Lumet qui a créé les Ecuries de la Ridaudière et organise le Show Lumet avec Arqana. Ainsi, le bureau de l'Association France Débourrage sera forcément reconnu compétent pour évaluer les demandes de licence professionnelle et soumettre leur sélection aux commissaires de France Galop, qui pourront en même temps statuer de l'obtention ou non du droit à courir avec un critère d'ancienneté, par exemple, pour éviter les opportunistes.

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