Afrique du Sud : Candice Robinson, entraineur à Cape Town, fille de légende
" J'ai grandi à l'écurie et j'y ai travaillé tous les jours pendant 16 ou 17 ans, aux côtés de mon père. Quand il est tombé malade, j'ai pris les rênes de l'entreprise il y a 2 ans et je suis officiellement entraîneur depuis l'an dernier." A la tête de la plus grosse écurie du pays, alors qu'elle y est l'une des rares femmes entraîneurs, Candice Robinson dirige ainsi la carrière de 130 chevaux et une équipe de 65 personnes comprenant un groom pour 3 chevaux (le personnel n'est pas cher...), des chefs de grooms, des 1e garçons et 3 assistants entraîneurs. Son frère Mark a pris en charge la partie marketing et vient tous les matins pour alimenter les réseaux sociaux. Ce matin, il filme le dernier travail du Marinaresco, favori du Met, et envoie des photos de son cheval à Chad Guy Bertrand Le Clos, champion olympique de natation à Londres en 2012, qui est propriétaire à l'écurie.
Pendant ce temps là, le patriarche veille, mais en toute discrètion. Candice Robinson est en effet la fille d'une légende vivante, Mike Bass, surnommé "Mighty Mike", le roi des grandes courses, qui a tout gagné dans le pays depuis que cet anglais d'origine arrivé en Afrique du Sud à 3 ans en 1948 avec ses parents s'est installé en 1976. Il a notamment entraîné Pocket Power, fils hongre de Jet Master, qui a marqué l'histoire en gagnant 3 fois de suite de 2007 à 2008 le Met, l'équivalent de l'Arc de Triomphe en Afrique du Sud, qui se dispute sur l'hippodrome de Kenilworth au Cap. Mais il souffre aujourd'hui d'une maladie qui diminue sa motricité, devant se déplacer en déambulateur ou en fauteuil, et il a préféré passer la main à sa fille il y a 2 ans. " Je suis très fier de ce qu'elle accomplit. Elle a déjà gagné 2 Gr.1 dont le Durban July avec Marinaresco alors qu'elle n'a sa licence que depuis 1 an. Elle va sans doute devenir meilleure que moi car elle est plus patiente ! " plaisante le grand homme, 73 ans, qui continue de venir tous les matins à la piste, tout en restant légèrement à l'écart.
Candice Robinson.
Mike Bass
Le personnel n'est pas cher, alors il y a un groom pour trois chevaux.
La ligne droite de 800 m
Ville porteuse de légende, le Cap, nommée ainsi en raison du Cap de Bonne Espérance tant redouté par les navigateurs qui marque le passage de la côte ouest à la côte est du continent africain, entretient aussi l'industrie la plus puissante au niveau des courses dans le pays. Ce vaste territoire comprend en effet 2 autres grandes zones de courses, à Durban à 1500 kms à l'est, sur la côte, et aussi à Johannesburg, la capitale qui est dans les terres et culmine à 500 m d'altitude. Le gros meeting de Durban se déroule pendant l'hiver de l'hémisphère sud, entre mai et juillet. Candice Robinson y détient d'ailleurs une écurie de 30 boxes pour le meeting. L'an dernier, elle y a remporté son 1e Gr.1, le plus beau trophée de l'année, le Durban July, grâce à Marinaresco, son champion qui va tenter le doublé dans le Met de ce samedi 27 janvier sur l'hippodrome de Kenilworth.
Le Met est LA plus grande épreuve de l'année, forme l'Arc de Triomphe local qui se dispute devant 50.000 personnes (dont cette année Usein Bolt !) sur 2000 m. C'est une distance qui paraît longue compte-tenu de la façon dont les chevaux travaillent sur le centre d'entraînement de Milderton, au Cap. Les pistes sont en forme de raquette, dont la partie ronde du 1400 m est finalement beaucoup moins utilisée que les lignes droites, longues de 800 m avec 4 pistes en parallèle en sable profond et en gazon. A 2 jours de la réunion du Met, qui comporte 4 Gr.1 dont le Derby et où Candice Robinson va seller pas moins de 28 partants, tous les chevaux travaillent sur un breeze de 300 m, et c'est tout.
Mais contrairement aux apparences, et même si les barns s'alignent le long de la ligne droite dans le même esprit qu'aux Etats-Unis, mais où le petit personnel noir remplace les chicanos, le système d'entraînement n'est pas tant américain qu'anglais...version sprinter. En effet, comme dans tant d'autres lieux exotiques pour l'ancien monde, l'Angleterre a créé les courses en Afrique du Sud et son influence reste très présente. Candice Robinson a 5 jockeys maison qui sont là tous les matins, dont Aldo Domeyer, le pilote n°1. Enfin, comme chez la Reine, les courses cultivent leur côté glamour avec des vedettes du monde du sport, des médias et des affaires qui y sont très impliqués...dont le fameux Markus Jooste.
Ce dernier est d'ailleurs à l'origine d'un gros scandale qui secoue les courses en Afrique du Sud aujourd'hui. Puissant homme d'affaire, propriétaire de Conforama, créateur du fond d'investissement hippique Mayfair, Jooste est propriétaire de 300 chevaux à l'entraînement plus des participations multiples dans des chevaux et des poulinières dans les haras. Il a aussi de nombreuses associations à travers le monde et en Europe. Il a été remarqué comme acheteur de nombreux yearlings à Deauville avec Coolmore Stud. Il est très proche d'Investec, le sponsor du Derby d'Epsom. Le problème est que la justice sud africaine a repéré des irrégularités dans ses comptes. Voilà Jooste pris dans une tornade judiciaire avec la menace d'aller en prison ! Cela a provoqué une certaine panique dans les courses. Les chevaux doivent changer de casaque en urgence. Jooste doit disparaître de la circulation hippique. Mais les ventes de Cape Town, qui tenaient jusqu'alors sur ses épaules en tant que vendeur et acheteur, se sont finalement bien tenues en son absence la semaine dernière. Chez Robinson, Jooste avait 23 chevaux, en entier ou en participation, dont la jeune vedette du sprint Magical Wonderland pour laquelle il a fallu trouver un nouvel associé en urgence. Sagement, Mike Bass analyse : " Evidemment c'est un problème, mais il ne faut pas exagérer. Les courses ne dépendent jamais d'un seul homme."
Aldo Demeyer, le jockey n°1 de l'écurie Bass-Robinson
Le champion Marinaresco est protégé de la tourmente car Jooste n'avait pris aucune participation dans ce hongre de 5 ans, castré dans sa jeunesse car il était ingérable. Très bien né, fils de l'étalon leader Silvano avec un père par Fort Wood (ancien vainqueur du Grand Prix de Paris avec des oeillères, devenu un chef de race en Afrique du Sud), Marinaresco est très réduit en taille. Il compense par une action gigantesque, une volonté de fer et un coeur plus gros que lui. Sacré meilleur 3 ans du pays en 2016, battu seulement d'un nez dans la Durban July, il a pris sa revanche dans la grande course de Greyville en 2017. Agé de 5 ans désormais, il est co favori du Met, d'autant plus que les nouvelles conditions de poids pour âge lui sont plus favorables que l'ancien système du handicap.
Son père Silvano est allemand. Fils de Lomitas issu d'une des plus belles souches de Gestut Farhof, ce grand voyageur lauréat de l'Arlington Million, de la Singapore Kup et de la QE II Cup à Hong Kong a été envoyé en Afrique du Sud par Andreas Jacobs, pour lui faire faire la double saison dans son haras de Maine Chance Farm qu'il possède dans le pays. Mais Silvano n'a jamais pu revenir en Allemagne. En effet, les règles sanitaires sont devenues si drastiques qu'il est quasiment impossible pour les sud-africains de venir en Europe. " C'est très regrettable car je rêve de venir courir en Europe", explique Candice Robinson. " Mais il faudrait pour cela faire une quarantaine d'un mois ici, plus trois mois à l'Ile Maurice, plus encore 1 mois dans le pays de destination. C'est vraiment dommage car je suis sûr que nos chevaux seraient compétitifs."
Les règles sont un peu moins drastiques pour Dubaï ou en Asie. C'est ainsi que l'entraîneur sud africain Mike de Kock gagne énormément de courses tous les hivers à Meydan, où d'ailleurs le crack sprinter d'Afrique du Sud JJ The Jet Plane a remporté le Al Quoz Sprint après la Hong Kong Sprint.