Courses à Ipoh (Malaisie) : les victimes de la guerre du bookmakings et des religions

14/09/2014 - Découvertes
Grand pays historique des courses en Asie du Sud-Est, la Malaisie possède pourtant un sérieux savoir faire et une passion authentique pour les chevaux, mais elle sombre peu à peu dans une crise profonde qui contraste avec la santé explosive d'une économie faisant de ce petit pays méconnu un véritable tigre. Voyage à Ipoh, au nord du pays, sur un hippodrome à l'ambiance étrange, entre bien être apparent et mélancolie d'un âge d'or passé.

 

Tandis qu'on transpire déjà, la pluie qui s'annonce devient presque une bonne nouvelle, puisqu'elle calmera les ardeurs du soleil nous faisant croire qu'on est dans le four, alors qu'en fait on cuit à la vapeur. En montant les marches de l'entrée monumentale de l'hippodrome d'Ipoh, ça fait une drôle d'impression. Bien que le parking à motos soit bondé, cet énorme paquebot de béton érigé dans le goût douteux des années 70, et déjà fatigué en raison d'un climat qui n'épargne aucune construction, parait vide. Il est silencieux. Des chevaux semblent courir au loin, mais pas un son, chose rarissime dans une Asie du Sud-Est pétaradante. D'une part les courses s'y déroulent sans commentaire, et en plus il n'y a pas un chat à l'horizon...En fait si, il y a bien de la vie, du bruit en haut d'un escalator. 1000 à 2000 personnes massés autour d'un "spot", c'est à dire des rangées d'écrans où s'alternent des pages de cotes et des images de courses de Hong Kong, d'Australie, d'Afrique du Sud et d'ailleurs. Mais pas tant que cela de guichets de jeu. Une dizaine de femmes se faufilent dans la foule en levant les bras et en arguant des mots en malais, une oreillette accrochée au téléphone. Ce sont elles qui font la loi, ou plutôt les bookmakers illégaux à l'autre bout du fil, pour lequels elles prennent les enjeux. Et encore ce n'est que la partie visible de l'iceberg. " Dans les belles années, il y avait 25, 30 voire 40.000 personnes sur l'hippodrome. Il y avait une atmosphère de fête. Mais depuis 15 ans, les chiffres baissent tout le temps et désormais nous sommes contents avec 3 à 4000 personnes...Nos chiffres d'enjeux ont diminué presque de moitié pendant cette période, passant de 300 à 175 millions d'euros l'an dernier" explique Soo Lai Kwok, le manager general du Turf Club d'Ipoh, au nord-ouest du pays.

 


Le système des courses en Malaise est ancien, vieux de 150 ans, et remonte à l'époque de l'Empire britannique. Aujourd'hui, 3 Turf Club organisent alternativement leurs courses, celui de Selangor à la capitale Kuala Lumpur, celui de Penang sur l'île du même nom, et celui d'Ipoh qui dispute 28 réunions à l'année, uniquement en plat, sur une grande piste de 2000 mètres de tour. Aujourd'hui, le nombre ne cesse de réduire, suivant les courbes à la baisse des effectifs à l'entrainement, qui a lui aussi diminué de moitié à Ipoh pour descendre à 250 chevaux actuellement.

Les problèmes sont venus du développement technologique qui a fait explosé les enjeux à distance. Dans une région du monde où l'esprit du jeu tourne à la frénésie, les enjeux pris par les bookmakers sont estimés à plus de 10 fois supérieus aux enjeux officiels. Mais alors que Hong Kong, soutenu à 100% par des autorités a pu supporter le choc et même remonter la pente grâce à une politique très agressive de lutte contre le bookmaking et de développement de leurs propres systèmes d'enjeux à distance, la Malaisie est prise en tenaille par un gouvernement d'obédience islamique, qui par nature est férocement opposé à la notion de jeu et qui ne prodigue aucun effort pour soutenir les organisateurs de jeux sur les courses, et donc les courses. Ainsi, tandis que les Clubs n'ont pas le droit d'établir des bureaux de jeux en ville, et que les parieurs doivent se déplacer sur les hippodromes pour jouer, les bookmakers s'en donnent à coeur joie sans aucune poursuite judiciaire, et se permettent même de se rendre sur place, dans les tribunes, pour voler les enjeux directement à la source ! Autant dire que les courses n'ont aucune chance de s'en sortir dans ces conditions et doivent se réinventer dans une pays islamique qui noircit leur image jour après jour. Pour autant, aussi surprenant que cela puisse paraître dans cette région du monde, le cheval nourrit une passion grandissante, dont les grands bénficiaires sont le polo et l'endurance.

 

M. Soo Lai Kwok, le manager général du Turf Club d'Ipoh

Le duel des générations entre le jeune Loo Ho et le vétéran Jaya Shankar

 

D'ailleurs, il est aisé de reconnaître un savoir faire pointu pour la chose équine en Malaise, découvert sur France Sire lors des reportages à l'entrainement à Penang, au Haras National ou à la Spelling Station dans les montagnes de Cameron Highlands. De même, sur l'hippodrome d'Ipoh, on est agréablement surpris par la qualité des jockeys, la préparation des chevaux et le professionnalisme de l'organisation, car ces 3 éléments sont rarement réunis (surtout le 1e...) dans des "petits" pays de courses qui n'ont pas la chance et donc la pression de jouer dans la cour des grandes nations très internationalisés. " Ici, les pistes sont grandes et nous pouvons adopter toutes les tactiques et donc s'adapter à nos chevaux", explique Jaya Shankar, 7 fois cravache d'or, gagnant de plus de 1600 courses dont le Derby de Malaisie 2014. " Le plus important à gérer est l'équilibre, car il fait très chaud mais il pleut souvent en Malaisie et donc l'état des pistes peut varier très vite et devenir inégal. Donc il faut surtout bien se concentrer sur l'équilibre de son cheval, et attendre qu'il soit bien en ligne avant d'accélérer dans la ligne droite." Par ailleurs, la Malaisie procède à un système de contrôle de la régularité des courses diablement efficace, dont beaucoup de "grands" pays pourraient s'inspirer. Ainsi, après chaque arrivée, les jockeys font la queue pour faire un rapport rapide à un commissaire qui les attend avant la pesée. " Les jockeys sont tenus de livrer tout élément qui aurait pu perturber la performance de leur cheval, qui ce soit en terme de déroulé de courses avec par exemple de problèmes de courses mais aussi en terme de comportement général du cheval ", précise Soo Lai Kwok. " Si le jockey indique qu'il a senti son cheval sans action ou dérangé dans sa respiration, des examens vétérinaires sont effectués immédiatement, des tests de locomotion directement dans les balances, ou des endoscopies respiratoires aussitôt le retour aux écuries."
 

Tous les jockeys sont systématiquement interrogés par un commissaire à leur descente de cheval.

De nombreux examens vétérinaires sont effectués directement sur l'hippodrome après les courses.

Repérez la femme en rouge au milieu. Elle prend les enjeux pour les bookmakers illégaux....
 

Là voilà de plus près !

Malgré la crise, la bonne humeur demeure en Malaisie.

 

 

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