Unique au monde : les courses de percherons au Japon
De nos jours où tant de gens voyagent, il ne reste plus beaucoup de pays qui font vraiment rêver et peur en même temps, des endroits du monde où la civilisation est aussi puissante qu'incompréhensible, à mille lieux des codes occidentaux mais sans être composée des fous furieux guerriers islamistes ou fans de l'ex-URSS. Le Japon fait partie de ses endroits pas touristiques, car chers et lointains, mais mythiques. Le pays du Soleil Levant, pour les rares étrangers qui y mettent les pieds, révèlent d'immenses surprises, et pas seulement dans la mégalopole de Tokyo. Car bien loin de la capitale Zen, qui n'a d'ailleurs rien à voir avec ce qu'on peut imaginer d'une cité urbaine asiatique fourmillante à la chinoise, la grande ile du nord, Hokkaido, froide et peu peuplée, est dévolue à l'agriculture dans les plaines et à la nature grandiose dans les montagnes. Ici, on est quand même plus au nord que vladivostok et voir tomber un mètre de neige dans la nuit n'est pas rare. C'est ici qu'on élève tous les chevaux du pays, les pur-sang bien sûr, dont 30% de l'effectif total dépend de la familles Yoshida à Shadaï et ses satellites, mais aussi...des chevaux de trait, avec lesquels on fait des courses.
En effet, dans un seul endroit au monde, les chevaux de trait servent à autre chose qu'à décorer les salons de l'agriculture, tirer des charrues des écolos, promener les touristes en ville ou remplir les raviolis italiens. La petite ville d'Obihiro abrite l'hippodrome de Banei Tokachi, composé d'une piste en ligne droite de 200 m de long, ce qui est fait qu'on y dispute les courses les plus courtes du monde, mais pas les plus rapides puisqu'elles durent 2 minutes. Les chevaux, même s'ils pèsent une tonne, sont de vrais bêtes de compétitions, archi près du sang, affutés, bondissants. Ils pourraient boucler le parcours en quelques foulées au grand galop mais le grand enjeu ici réside dans le franchissement des 2 buttes. De gros obstacles, des sortes de banquette d'un 1m de haut pour la 1e et 1,6m pour la 2e, redoutables, au point que les chevaux, après ête partis au galop pendant les 20 premiers mètres sont arrêtés devant chaque butte par les jockeys pour reprendre leur souffle et se "gonfler" pour la montée. Cela peut durer près de 10 secondes. Et ils finissent au pas, plus ou moins épuisés dans les 30 derniers mètres sur la plat. C'est là où tout le paradoxe japonais se fait ressentir, de la même façon que pour les sumos, ces géants d'environ 150 kilos, demi-dieux au pays des petits hommes, qui exercent leur puissance grâce une technique extrêmement raffiné. Car les jockeys doivent parfaitement ressentir le niveau d'effort du cheval et sa respiration, pour arrêter les chevaux et les faire repartir le plus vite mais en ayant attendu assez pour qu'ils puissent franchir la montée d'un seul coup, puis négocier la descente sans se faire emporter le lourd charriot, dont le poids moyen est de 700 kilos. Les 2 ans ne tirent "que" 500 kilos, mais pour les grands prix, les chargent s'élèvent jusqu'à une tonne, tandis que pour les chevaux, les plus puissants accusent 1,2 tonnes à la balance.
Voilà un sport aussi étrange que japonais, dont les origines remontent à un siècle, époque de l'ouverture de l'empire mystérieux au monde moderne et extérieur, après mille ans d'enfermement quasi total. Cela a commencé notamment avec le développement de l'agriculture et l'importation depuis la France de puissants chevaux de trait, afin d'améliorer les rendements des plantations dans la zone agricole de la l'ile d'Hokkaido, au nord, dont une partie montagneuse est innacessible mais une autre, parfaitement plate, sert de grenier pour le pays entier. Il y a tout juste 100 ans, était ainsi importé le percheron Irèné, cheval aujourd'hui statufié, qui faisait le triple du poids des chevaux nippons et qui a tout révolutionné. Rapidement, les paysans locaux ont crée des matchs entre leurs chevaux, attachés et tirant chacun dans le sens opposé. Après la 2e guerre mondiale, alors qu'une seconde vague de mécanisation a fait perdre au cheval sa fonction de travail, sa force a été exploitée sur un hippodrome avec des courses en ligne adaptées à ses capacités propres. Les chevaux actuels ne sont pas issus uniquement des percherons puisque les japonais ont également importés en masse des chevaux de trait belges, ce qui explique par exemple la variété des robes, mais le percheron reste le symbole et le nom commun donné aux chevaux lourds sur place. Cela est d'ailleurs assez cocasse car l'alphabet nippon ne comporte pas la lettre "r" et les locaux sont incapables de prononcer cette consonne...
Il y a eu jusqu'à 4 hippodromes de percherons, mais la crise économique des 20 dernières années a eu raison de 3 d'entre eux et un seul subsiste, à Obiriho. Aujourd'hui, il y a courses tous les samedi, dimanche et lundi de l'année sans interruption, ce qui fait un total de 153 réunions pour 4500 courses (11 courses / réunions en moyenne), disputés par 480 chevaux tous à l'entrainement sur place, confiés à 30 entraineurs et conduits par 30 jockeys. Ces boules de muscles sont entrainés tous les jours à tirer des charriot. Ils ne franchissent pas des buttes tous les jours car l'effort est trop intense. Si à l'époque, les courses ont été crées avec des chevaux de travail, ces animaux sont aujourd'hui nés et élevés pour la compétition dans des haras spécialisés. Mais la sélection est féroce. Sur les 2000 naissances annuelles (un nombre élévé, près de la moitié des naissances pur-sang en France), seuls 200 passent les fourches caudines de la qualification. Les autres partent à Kyushu, celle des 4 plus grandes iles du Japon qui est la plus au Sud et la seule où on mange du cheval, mais où on en mange beaucoup.
Les courses ont lieu par tous les temps, de jour et de nuit, sous le soleil comme sous la neige, et les tempêtes sont fréquentes ici. La piste est chauffée car la température peut descendre en dessous des moins 20 degrés. Mais les chevaux comme les hommes sont encore plus robustes que le climat. Ils courent en moyenne 200 fois dans leur carrière qui peut s'étaler de 2 à 12 ans.
C'est d'ailleurs là qu'on voit que l'effort demandé, s'il paraît très violent au 1e coup d'oeil surtout avec des jockeys qui claque des grands coups de mous de rênes sur le postérieur des chevaux, doit forcément être très supportable car sinon les compétiteurs ne feraient pas des carrières aussi longues. Il n'y a aucune marque d'affection ni d'émotion parmi les acteurs avec leurs chevaux. Mais il ne faut pas s'en surprendre car les japonais sonf très peu démonstratifs par nature, sauf le public nippon dans les tribunes de Longchamp quand il pleut après avoir terminé une nouvelle fois 2e de l'Arc de Triomphe.
Les enjeux bien que nationaux restent bien loin des courses de Pur-Sang, une moyenne de 17.000 € par épreuve. Les allocations au vainqueur, souvent inférieur à 1000 €, atteignent les 40.000 € pour le grand prix de l'année en mars. Les poids à tirer sont fixés précisément par les conditions, et les femelles recoivent 25 kilos des hongres. Les charriots sont attelés justent devant les stalles, et ramenés après l'arrivée par un petit train. Les tribunes semblent vides au premier abord, mais en fait le public se protègent du froid du grand nord à l'intérieur : une moyenne de 1500 personnes chaque jour, et 5000 personnes les grandes journées. Dans les années 80, des courses dites de trait track avaient été lancés en France, mais vite abandonnés faute d'organisation et de véritable obstacle à franchir. Ici, c'est une culture et un sport où la force pure s'exprime à travers un grande sophistication technique. Autrement dit, du sumo équin.