La Gold Cup de Long Run: ce n'est pas grave, docteurs ?

19/03/2011 - Actualités



Roi du scalpel et de l'échographe, Benoit Gabeur est un fameux véto de l'ouest, et aussi un grand éleveur malgré un nombre de poulinière très limité. Actuellement, il a un champion en France, Bel La  Vie, et deux avions en Angleterre, Master Minded et Long Run, lauréat de la Gold Cup 2011 à l'âge de 6 ans. " Chez moi, la règle horaire, c'est qu'il n'y a pas de règle, je nourris quand je rentre, et il faut que les juments se laissent attraper sans difficulté pour aller à la saillie, car je n'ai pas le temps de courir après ! " C'est un critère de sélection insolite mais manifestement efficace.

 



Long Run avant la course, un cheval très serein de nature



 Long Run est un tout jeune vainqueur âgé de 6 ans, ce qui n'était pas arrivé depuis 1963 et le succès de Mill House. Dans l'immédiat après-guerre, il y en avait eu deux dans ce cas: Mont Tremblant en 1952 et Fortina en 1947. A noter que ce dernier, futur étalon, était monté, comme Long Run, par un amateur: R. Black. Il faudra attendre ensuite 1981 pour avoir un autre amateur au palmarès, Jim Wilson quand il s'est imposé avec Little Owl, un cheval qu'il possédait lui-même avec ses deux frères. Mont Tremblant défendait la casaque de Dorothy Paget, déjà propriétaire du légendaire Golden Miller, lauréat à 5 reprises de la Gold Cup dont la 1e fois en 1932 à l'âge de 5 ans, un record de jeunesse.

 

 

Long Run s'envole après le dernier fence sous la selle de l'amateur Sam Waley-Cohen, le fils du propriétaire

 

Mais Long Run reste un fils de vieux dont le destin familial est à peine croyable. Sa grand-mère était complètement nulle en course, accusant 12 échecs complets pour autant de sorties. Elle a quand même produit des champions en obstacle, d'Aubisque à Full Contact en passant par Full of Ambition, pourtant fils du funeste Galetto. Avant tout ceux-là, elle avait donné en 1985 une certaine Libertina, gagnante d'une course à Pau à 3 ans sous la casaque de Jean Biraben. Libertina a commencé sa carrière de poulinière au Haras de Mirande, avec 3 produits dont 2 mauvais et 1 futur bon, Aubisquini. Puis elle est partie à Vesoul, dans les Vosges, chez l’incontournable Jacky Rauch, l'homme de Cheltenham 2011, déjà partie prenante dans Al Ferof et Grands Crus. Un beau jour de l'hiver 96-97 , Yannick Fertillet, qui avait entrainé dans les années 80 une soeur aînée de Libertina nommé Fioca, gagnante de 9 courses puis mère de J'Y Reste (d'où J'Y Vole), fait un lot chez Jacky Rauchet ramène un camion plein de chevaux, dont Libertina.

 



Benoit Gabeur, bardé de médailles, en compagnie de la journaliste Isabelle Mathew qui tente désespérement de lui soutirer une interview

 

Entraineur, Yannick Fertillet ne sait que faire dans son camion de cette encombrante poulinière pleine de Cyborg, Libertina, qui va sur ses 12 ans et n'a rien montré, Aubisquini n'étant pas encore en âge de courir. Benoit Gabeur passe par là et repart avec la bête pour la somme de 2000...francs à l'époque! Bien qu'âgée, Libertina lui donne Liberthine (Chamberlin), gagnante de 6 courses dont 1 Gr.3 à Cheltenham sous la casaque de Robert Waley Cohen puis Bica (Cadoudal), vainqueur de 4 courses et 2e du Prix Wild Monarch (Listed). Encouragé par la réussite de ce dernier, il renvoie Libertina en 2004 à Cadoudal, qui a pourtant 25 ans, marche sur sa barbe, mais reste encore assez vert avant de faiblir fatalement l'année suivante.

 



Robert Waley-Cohen (à gauche), propriétaire du vainqueur et père du cavalier lauréat


Robert Waley-Cohen est allé logiquement voir le jeune frère de sa Liberthine lorsqu'il a débuté à 3 ans à Auteuil. Long Run a gagné et l'anglais l'a acheté mais laissé en France où il a été le meilleur 4 ans du pays. On en attendait monts et merveilles dès qu'il a traversé la Manche à 5 ans. Quelques mois plus tard, il décroche la plus grosse timbale. Son propriétaire est un des plus hauts responsables de l'hippodrome de Cheltenham, passionné de chevaux et d'élevage. Et il a confié son champion à son fils, Sam, un amateur qui est prothésiste dentaire dans la vraie vie. L'affaire fait grincer des dents en Angleterre, où tout le monde dit qu'il lui faudrait un vrai jockey professionnel. " Mais je trouve que l'aspect le plus intéressant de l'histoire " rétorque Benoit Gabeur. " C'est une aventure partagée en famille. Faire monter son fils amateur pour gagner la Gold Cup, c'est un risque mais ce sont des moments inimaginables. Et je ne connais pas beaucoup de grandes casaques en France qui seraient capables de faire ça. "

 



Entraineur de Long Run, Nicky Henderson est félicité par la Princesse Anne, et manifestement, pour lui, c'est très important

 

Accompagné de sa femme Marie-Christine, Benoit Gabeur partage cette passion de façon spectaculaire, d’autant plus qu’il a de la carrure. On se rappelle de l’image de son infortuné voisin qui s’est fait éjecter lors de la victoire dans le Jockey-Club de Vision d’Etat, cheval que le vétérinaire avait conseillé d’acheter à Jacques Détré et Eric Libaud lors des ventes de décembre à Deauville. Là, évidemment, c’est une autre dimension. Dès le dernier fence franchi alors que Long Run s’envolait vers le succès, Benoit Gabeur se jetait dans le public pour descendre plus vite des tribunes, dans le style d’un chanteur de hard rock métal à jeans troués qui fait un saut de l’ange au dessus de son armée de fans à cheveux longs. En l’occurrence, le héros porte une cravate et la foule délire sous des costumes en tweed. Quinze personnes tout à fait distinguées de la tribune des propriétaires ont vu passer un ovni hurlant au dessus de leur chapeau. C'est Cheltenham quoi. Ce n'est donc pas grave, docteurs.

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