Japan Cup 2014 pour Epiphaneia : Soumillon au pays des mangas
On croirait qu'ils ont le Godzilla aux fesses, sauf qu'ils ont le sourire. A 7H30 du matin, il se passe un truc unique au monde sur l'hippodrome de Fushu, à Tokyo, la capitale du Japon. Des milliers de personnes, et peut-être même plusieurs dizaines de milliers, dont une partie a dormi sur place, font un sprint fantastique et commun et se précipitent vers les tribunes ou au bord de la piste. Il s'agit de prendre d'emblée les meilleures places pour profiter du spectacle le plus populaire du pays du soleil-levant : les courses de chevaux.
Christophe Soumillon s'envole dans la Japan Cup en selle sur Epiphaneia (photo Jean-Charles Briens)
Car nous sommes ici au pays du respect absolu et donc les gens peuvent poser une paire de jumelles (aucune chance d'être volée) sur un siège qui restera le leur toute la journée, ou mieux encore, étaler sur un sol parfaitement propre, un tapis de pique nique pour profiter de la plus belle des journée entre amis, non loin du poteau d'arrivée de la Japan Cup. Ils seront aussi plus de 100.000 à s'amasser dans les tribunes. La 1e course démarre à 10h05. Plus de 6 heures plus tard, alors que la nuit tombe pour le départ de la 11e et dernière course du jour, on ressent sur place ce qui nous a déjà stupéfié sur les images déjà vues à la télé : une marée humaine qui réagit en parfaite synchronisation.
7H30 du matin : des milliers de personnes remplissent déjà les enceintes et on posé leur pique nique pour toute la journée.
Après 20 minutes d'un rond de présentation qui s'est déroulé dans un silence absolu, malgré la foule amassée autour et sur les 8 étages des tribunes qui offrent une vue panoramique sur le paddock, la meute dressée est prête à bondir devant la pistes, d'autant plus que les chevaux tournent cette fois au plus près du public, les stalles de départ étant installées à mi-ligne droite. Quand le starter monte sur son promontoir et lève son drapeau rouge, c'est du délire. En une fraction de seconde, on passe d'une ambiance sonore où on aurait entendu une mouche voler (mais les japonais, tous très sophistiqués, ne supportent pas les mouches), à une clameur indescriptible. Heureusement que les japonais prévoient toute l'architecture pour les tremblements de terres sinon les tribunes s'enfonceraient dans le sol !
C'est le moment où le Japon se lâche. Ici, tout est prévu, organisé. La liberté indiviudelle ne se traduit pas en japonais. Dans un rond de présentation, on indique même aux propriétaires à quel endroit précis ils doivent parler aux entraineurs, les jockeys entrent au rond à la seconde qui leur a été demandée, les entraineurs regardent tous les courses ensemble dans une salle prévue avec grand écran, etc...C'est sans doute nécessaire vue la foule réunie, et c'est très efficace en tout point mais ca reste hyper oppressant pour un occidental. Alors les nippons quand ils se lâchent, ils ne font pas semblant. Leur créativité visuelle n'a aucune limite, surtout dans le registre des mangas, dévenus célèbres dans le monde entier. Aux courses, c'est un peu la même chose pour les fans des chevaux, innombrables. Les plus coriaces voyagent tous les ans à Longchamp pour l'Arc de Triomphe déguisés de la tête au pieds, et même si les pauvres, finissent toujours en pleurs, la plupart du temps victimes de leurs jockeys, ils font le bonheur des caméras depuis des années. A Tokyo, on trouve aussi des fans spectaculaires, habillés avec la casaque de leur héros, lisant et relisant les dizaines de journées spécialisées, où s'alternent des photos de pur-sang et d'écolières en petite culotte blanches, sans compter le presse généraliste qui consacrent souvent la une aux chevaux et aux jockeys...et aux soubrettes.
Gentildonna suivie d'Epiphaneia
Harp Star, 6e de l'Arc de Triomphe, terminera cette fois 5e en finissant encore en trombe.
Just A Way. Son jockey, lui ,l'a massacré dans l'Arc et a préféré le conserver dans la Japan Cup, laisant la place à Soumillon sur Epiphaneia, qui est aussi son partenaire habituel.
Gregory Benoist, en selle sur Decipher
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Pierre-Charles Boudot, associé à Tosen Jordan
Epiphaneia, avec Christophe Soumillon à la sortie du rond. L'ambiance était un peu crispé jusqu'à ce qu'un supporter l'encourage bruyamment, brisant le silence ambiant, et réchauffant l'atmosphère.
Et puis c'est le départ, qui va se conclure par une arrivée. Et comme souvent aux courses, à la fin c'est Soumillon qui gagne. Ce jockey est génial, en concurrence actuelle avec Ryan Moore pour le titre officieux de meilleur jockey du monde. Tout le monde sait qu'il a l'esprit libre, et un caractère bien trempé, qui n'hésite pas s'exprimer. Disponible et passionnant, mais aussi sombre et capable de dire ce qu'il pense, (même à ceux à qui il ne faut pas). Bref, l'inverse totale de l'âme japonaise. Il connait bien le pays pour y avoir passé plusieurs hivers. Il gagnait beaucoup de courses parce qu'il est beaucoup plus fort que les autres mais l'expérience avait fini en noeud de boudin après son incroyable disqualification de la Japan Cup 2010 avec Buena Vista, pour une gêne que peu ont remarqué. Cette année, il a été invité à un championnat de jockey qui pour une fois se déroule en même temps que la Japan Cup, ce qui lui a donné automatiquemnt un ticket pour toutes les courses du week-end. L'entraineur de Epiphaneia, nommé Katsuhiko Sumii, a profité de l'occasion pour lui faire monter son champion Epiphaneia, délaissé par son jockey habituel Yuichi Fukunaga qui a préféré Just A Way avec qui il avait gagné le Dubai Duty Free au printemps, avant de le massacrer dans l'Arc pour y finir 8e. Soumillon énerve les commissaires, qui lui ont encore mis une lourde amende pour un dépassement de poids de 500 grammes en début d'après-midi, mais le public l'adore. Au rond, traversant un silence quasi religieux, un fan a crié "Soumillon, welcome in Japan", ce qui a bien faire rire tout le monde y compris le principal intéressé. Quelques minutes plus tard, ils passeront de 1 à 100.000 à clamer son nom.
PC Boudot et Greg Benoist, en meeting d'hiver au Japon, ont également monté la Japan Cup mais sans réelle chance. Soumillon avait lui un zinc entre les jambes. Deuxième du Derby Japonais 2013 de Kizuna et de la Poule d'Essai, il avait finalement remporté la 3e manche de la triple couronne, le St Leger. Absent 6 mois ensuite, 3e du même Kizuna pour sa rentrée dans un Gr.2, il avait certes un peu raté son 1e objectif international, la QEII Cup en avril à Hong Kong dont il a conlu 4e mais son entraineur, qui n'a pas froid aux yeux, a visé ensuite la Japan Cup en ne refaisant qu'une seule course de rentrée, 6e du Tenno Sho (Gr.1) remporté par le 5 ans Spielberg.
Christophe Soumillon tout sourire à côté de son entraineur, plus mesuré...
Là, et même si le cheval a beaucoup tiré dans une course sans train (quand même 2'23'11 sur 2400 m), Epiphaneia s'est placé d'emblée en 3e position avant de passer entre les 2 leaders à l'entrée de la ligne droite et de filer vers un très facile succès de 4 longueurs. Le fameux Just A Way (Heart's Cry) a pris la 2e place devant le bon finiseur Spielberg (Deep Impact). La Trêve du Japon, Gentildonna (Deep Impact), qui avait réussi le 1e doublé de l'histoire de la Japan Cup, a raté sa tentative de triplé et termine courageuse 4e devant Harp Star (Deep Impact) qui termine comme d'habitude en trombe mais trop tard à l'extérieur, 5e. Elle devance le 1e étranger de la course, l'allemand Ivanhowe, gagnant du Grand Prix de Baden Baden sous l'entrainement du français Jean-Pierre Carvalho, très combatif pour conserver la 6e place en pulvérisant son record personnel, lui qui est surtout un amateur de terrain lourd. Des 2 autres étrangers, le canadien Up With the Birds, raide comme la justice, est avant-dernier et l'irlandais Trading Leather, tirant double avant de rendre l'âme mi-ligne d'en face, s'est cassé une jambe alors que son jockey Kevin Manning lui dévissait la tête depuis 200 m.
Le vainqueur a été élevé par Katsumi Yoshida, le frère moins connu en France que Teruya, fils de Zenya Yoshida qui a développé l'entité Shadai. A noter que les 5 premiers places de la course ont été remportées par des produits des frères Yoshida, qui dépassent à eux deux les 1000 poulinières. Epiphaneia est royalement né. Son père Symboli Kris S, fils de Kris S acheté yearling aux Etats-Unis, a réussi deux doublés dans le Tenno Sho et surtout l'Arima Kinen, l'Arc nippon. Il avait aussi conclu 2 fois 3e de la Japan Cup, derrière Falbrav et Tap Dance City. Quand à la mère Cesario, elle a remporté le Prix de Diane de Tokyo mais aussi a décroché un grand trophée international lorsqu'elle a gagné les American Oaks (Gr.1) aux Etats-Unis. Cette fille de Special Week (Japan Cup 1999) est née au Japon dès suites de l'importation de sa mère, l'irlandaise Kirov Première, nièce du sprinter Chief Singer par Sadlers'Wells, gagnante de Gr.3 aux USA. A noter que cette souche internationale remonte à une famille de la Comtesse Battyhany et une 4e mère par le français Le Fabuleux.