"A Pau, les noms de prix ont eux aussi une histoire", une nouvelle oeuvre signée Xavier Bougon

05/12/2020 - Grand Destin
Après vous avoir conté avec brio l'histoire des noms de prix de Cagnes-sur-Mer, Xavier Bougon a ressorti sa plus belle plume pour faire de même avec les prix disputés sur l'hippodrome du Pont-Long, à Pau, qui a rouvert ses portes ce samedi, à l'occasion de son traditionnel meeting d'hiver.

Les courses de Pau, à cheval entre Histoire et traditions

 

Le premier volet de «Les noms de prix ont une histoire » était consacré aux réunions de courses de la Riviera française, organisées à Cagnes sur Mer. Le second volet traverse la France d’est en ouest pour atterrir en Béarn et plus particulièrement à Pau où débute le meeting 2020.

 

 

Les deux sites hippiques, géographiquement opposés, ont pour point commun d’être nés grâce à l’afflux de «migrants» (un mot à la mode) fortunés. Sur la Riviera, l’apogée du tourisme d’hiver se situe entre 1880 et 1914. A partir de l’hiver 1880, l’effectif des hivernants passant au moins deux mois sur la Côte, est composé de 13.000 français, 6.000 anglais, 2.500 russes, 2.500 américains, 2.000 allemands ou autrichiens....

Pau, ville cosmopolite, so british.

Dans les décennies 1850 et 1860, il était de bon ton de passer l’hiver à Pau. Les hivernants étaient environ 1.500 en 1855, près de 2.500 en 1865. Les Britanniques, anglais mais aussi Ecossais, Gallois et Irlandais représentaient 46% des hivernants en 1850 et 67% en 1858. En 1863, on relevait 340 familles britanniques, 40 américaines, 26 allemandes et autrichiennes et 24 russes. En Béarn, vers 1880, il était comptabilisé plus de 2.000 américains pour autant d’anglais et d’espagnols. On comptera jusqu’à 6.000 hivernants pour une population de 30.000 habitants.

 

Le roi Henri IV, ayant sa statue érigée au pied du château de Pau (© Peinture des Musées de France)

 

Pau c’est aussi la ville natale d’un futur roi de France, Henri IV, né des amours de Jeanne d’Albret (née au château de St Germain en Laye) et d’Antoine de Bourbon.

 

Wellington, le vainqueur de Napoléon, s’installe à Pau.

Petit retour sur les débuts palois. A la fin du règne de Napoléon, les troupes alliées (espagnols, portugais et surtout anglais) arrivent à Pau et le général Wellington s’y serait installé en février 1814 après la bataille d’Orthez (certains faits étant contradictoires, je ne confirmerai pas la véracité de mes propos). La ville est une révélation pour les anglais qui tombent sous le charme de son climat et de son panorama sur les Pyrénées. Ils prêtent à son air pur de multiples vertus et n’ont qu’un désir, y revenir. A partir des années 1830-40, l’histoire de la ville prend alors un tour inattendu marqué du sceau du développement du tourisme climatique. Pau devient un prestigieux lieu de villégiature et le rendez-vous mondain de la haute société.

 

Le général Arthur Wellesley, premier Duc de Wellington (© SmallsWordProject.com)

 

Le succès augmente encore à partir de 1838, lorsqu’un médecin écossais, Alexander Taylor, (inhumé à Pau en 1879) ouvre un cabinet médical à Pau après avoir été guéri du typhus et de dysenterie en passant quelques semaines dans la cité Béarnaise. Il démontre à ses compatriotes, par la rédaction d’un ouvrage en 1842, que le climat local peut avoir des vertus bénéfiques dans le traitement de la tuberculose. Il devient désormais de bon ton de passer l’hiver à Pau pour se soigner ou seulement pour se montrer. Cette période est couramment appelée «ville anglaise». Mais il faut noter que si les Britanniques sont certes les plus assidus à y passer la saison, la bonne société américaine, française, espagnole, néerlandaise, russe ou prussienne contribue aussi à son succès.

 

Le Pau du XIXème siècle, là même ou naquit le concept de villégiature (© pau-pyrenees.com)

 

Le Cercle anglais, le Pau Hunt Drags.

 

Photo d'archives d'un équipage du Pau Hunt Drags (© venerie.documalis.com)

 

Les anglais amènent leur mode de vie, leurs sports (rugby, tennis, tir aux pigeons, cricket, polo) et leurs loisirs. Une poignée de gentlemen écossais fondent en 1824, le Cercle anglais de Pau (honoré le 29 décembre 2020), association de notables anglais, qui était, à l’origine, un lieu de rencontre et de lecture pour british en villégiature, où l’on s’échange les derniers potins du jour en buvant le thé ou un whisky. Le jeudi soir, on joue au bridge en buvant un armagnac.

En 1840, Lord Henry Oxenden (vétéran de l’armée de Wellington) fonde le Pau Hunt Drags (honoré le 8 décembre) qui organisent des chasses à courre au renard tantôt en suivant à cheval une meute de chiens Fox Hounds tantôt en suivant une voie tracée artificiellement par les dragueurs, d’où son nom Drag Hounds.

Aujourd’hui encore, le Pau Hunt perpétue la tradition anglaise de la vénerie, avec les vestes rouges à parements verts, la culotte beige, la cravate de chasse et les trompes de chasse et des chiens provenant des meilleurs élevages anglais et irlandais.

La chasse qui rassemble d’intrépides et passionnés cavaliers est alors menée (par un master, maître d’équipage) par l’américain James Gordon Bennett (propriétaire du New-York Herald Tribune) jusqu’en 1882.

La société cosmopolite de Pau, fortunée et sportive, n’est jamais en mal d’activités. Dans le parc du château de Billère, le baron d’Este (né à Paris mais originaire d’Ecosse) organise en février 1882 une fête hippique dont les bénéfices iront aux plus démunis. Au programme, un concours hippique, un steeple-chase à travers la propriété et un «paper-hunt» pour lequel un escadron de cavaliers s’élance à la poursuite de William-Knapp Thorn faisant fonction de «fox». Le baron Arthur d’Este (honoré le 5 février 2021) fût Master des chasses du Pau-Hunt et Président du Cercle anglais de 1913 à 1925, année de son décès.

 

Réunis sur cette photo: Arsenius; Arthur Smyth, baron d'Este; Hubert, comte de Ganay; James Mellor; Prince de Poix; William Knapp Thorn, Edgard Lejeune, G. Brinquant (© Wikipedia)

 

De 1901 à 1910, le poste de Master est occupé par un autre américain, Charles-Henry Ridgway, (honoré le 13 décembre et beau-frère d’Etienne de Ganay) à qui succèdera son compatriote Frederik Henry Prince (honoré le 9 février 2021)(pendant 30 ans, de 1910 à 1940). Parmi les membres (appelés boutons) du Pau Hunt (en 1896), beaucoup d’anglais et d’américains, Ridgway, Hutton, Chapman, Morgan, John-Henry Wright (honoré le 17 janvier 2021), Prince, Potter, Nugent, W.K. Thorn, des français, le comte de Lesters, le comte d’Evry, le baron de Waldner, le baron de Palaminy (7 février 2021), le comte de Ganay, le vicomte Henri de Vaufreland (8 janvier 2021), le vicomte d’Elva, le comte René d’Astorg, le duc de Brissac. Des dames suivent et affrontent les gros obstacles de la lande, en amazone : Mme Joseph Barron (6 janvier 2021), Mme Chapman, Ellen Munroe (future Mme Ridgway), Mme Morgan.....

Pour l’anecdote, F.H. Prince a été le principal mécène et animateur du Pau-Hunt, du Golf de Billère et du Jeu de Paume, organisant notamment la «Coupe de Pau ».

 

Le Pau Golf Club, il pleut autant à Pau qu’à Londres

 

Le Pau Golf Club d'antan (© Pau et alentours)

 

Deux décennies plus tard, en 1856, quatre passionnés de golf, (les colonels William-Nelson  Hutchinson et James-Hamilton Lloyd-Anstruther, le major William Pontifex et le révérend John-Henry Sapte) fondent, dans la plaine de Billère, le premier golf du continent européen. Un ancien corps de ferme sert de petit abri en bordure des links et ce n’est qu’en 1880 qu’il est transformé en club house, style victorien, le Pau Golf Club est né. Avec 9 trous à la création, 12 en 1860 et 18 en 1875, ils se seraient inspirés du parcours écossais de St Andrews (créé en 1552).

Les membres du Golf et ceux du Pau Hunt se réunissent au Cercle qui devient le rendez-vous des sportsmen anglo-saxons béarnais. Dans les archives, on parle de « Temple de Bacchus et de la Dame de Pique», on y jouait beaucoup et on y buvait sec. En 1900, on ne comptait pas moins de quarante employés : serveurs, femmes de chambre, croupiers (il y avait un casino), cuisiniers...

Pendant cinquante ans, le Cercle fut installé place Royale, dans une aile de l'Hôtel de France spécialement aménagée pour recevoir les membres, puis, après la vente de l'immeuble au gouvernement espagnol qui en fit son consulat, le Cercle déménagea à l'Hôtel Gassion, jusqu'en 1980 (réhabilité en appartements privés). Actuellement, le siège se trouve à la villa Lawrance (construite en 1855 par un président américain du Pau Golf Club, Francis Cooper Lawrance, décédé et inhumé à Pau en 1911).

 

Des somptueuses demeures

Le flux de touristes ne se tarira qu’après la Première Guerre mondiale, mais avant ils s’installèrent en ville en faisant construire de somptueuses demeures. Au nombre d’environ 300, elles sont les témoins du temps où l’aristocratie du monde entier affluait à Pau. Les plus célèbres émanent de riches américains : la Villa Power (famille Hutton) ou la villa Ridgway, la villa Saint-Hélène (du nom d’une ile au centre de Montréal au Canada, patrie de la famille Barron de Longueil qui revendra la villa en 1921 à la famille Prince), pour ne parler que de ceux ayant laissé une trace dans l’activité liée au cheval et ses dérivés.

 

La villa Ridgway, à Pau (© Wikipedia)

 

La villa Hutton (ex Power), située dans le village de Billère, a été construite vers 1860 sur un terrain acheté en 1857 par un irlandais, Richard Power Lalor, qui, avec son épouse américaine, Sarah Gordon, a construit la villa d’origine. En 1867, Benjamin Henry Hutton et son épouse Ann (« Annie ») Gordon Hunter achètent la maison et les terres. Ils l’auraient rebaptisée Villa Bilhère (à l’anglaise). Annie décède en 1879 et Benjamin en 1884 aux USA mais la villa sera restée dans la même famille de 1857 à 1949, date du décès d’Annie (Anne, Rosalie), leur petite-fille. Elle a compté jusqu'à 40 domestiques et 50 chevaux pour les 3 ou 4 chasses hebdomadaires du Pau Hunt. C’est dans ces lieux que Joseph Barron (honoré le 6 janvier 2021) et son épouse Isabelle Hutton ont vécu.

 

Annie Hutton et Joseph Barron

Suite au décès du baron d’Este en 1925, son amie Maria-Carlotta Barron de Longueuil (épouse de John Grant, 9ème baron de Longueuil, fils du propriétaire de la villa Saint-Hélène) héritera du château de Billère qu’elle revendra l’année suivante. Elle était la sœur de Joseph Barron (dit « Pépito » né à Pau en 1872, qui épousera en 1905, Isabelle Hutton). Ce dernier était membre du Pau-Hunt et était reconnu comme un très bon cavalier. Il connut de nombreux succès en concours hippique et détint le record d’un saut en largeur en 1907. Il reçut à cette occasion la Copa del Rey des mains du Roi Alphonse XIII. Après le décès de sa femme en 1926, il s’installera à Pau comme entraineur particulier de sa belle-sœur, une certaine Mlle Annie Hutton (qui avait eu des pensionnaires chez Frederik Bates (entraineur à La Teste et A.E. Harris). Par ailleurs, il était propriétaire chez Charles Bariller à Maisons-Laffitte mais aussi et surtout chez un entraineur de renom du sud-ouest, le montois (entraineur à Bordeaux) Antoine Lafabrie qui lui fera gagner le Grand Prix de Pau en 1930 (Le Beau).

 

Arlequin d'Allier, dernier vainqueur du Prix Annie Hutton 

 

Le décor est planté, c’est le début d’une période faste et riche pour une ville qui ne connaissait que labourage et pâturage.

 

Notes

-Frederick Bates (dit Fred, né en 1872) était le père de Lucien Bates, futur entraineur à Maisons-Laffitte.

-Henry Ridgway était le frère d’Emily (1838 – 1921) laquelle a épousé le Marquis Etienne de Ganay (1833 – 1903), le père de Jean.

-Antoine Lafabrie (1889 -1964 à Eysines) a été jockey avant d’être entraineur. Il a gagné le Grand Prix de Pau 1910 en selle sur Rouziers appartenant à René de Rivaud. En 1953, il est gagnant du Derby du Midi comme entraineur pour Daniel Guestier (Le Tigre) et en 1961 pour le comte Bertrand du Vivier (Beau Fixe).

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