Muhaarar : pourquoi réusssit-il tant après avoir tout raté ?
Marhaba Ya Safan offre la Poule d'Essai des Poulains 2023 à son père Muhaarar. (photo APRH)
Même Alain Chopard, qui stationne Muhaarar au Haras des Faunes depuis l'an dernier, n'en revient pas. Et même en se grattant longtemps la tête, Thierry Grandsir, l'historien des étalons de DNA Pedigrée, se perd en conjecture. Ainsi, Muhaarar a remporté à ParisLongchamp la Poule d'Essai des Poulains (Gr.1) avec Marhaba Ya Safan, le pensionnaire d'Andréas Schutz. S'il était un outsider, la nouvelle star montée avec maestria par Mickaël Barzalona est tout sauf un exploit d'un jour pour son père.
Ainsi, Muhaarar, depuis 2 ans, accumule des scores extraordinaires avec sa production qui atteint le chiffre incroyable de 205 victoires de toutes courses (plus places de black-type) depuis le mois de mai 2022, donc une une année glissante. Il frappe tous azimuts, dans les classiques de Longchamp mais aussi à Deauville avec Trevaunance (Prix de la Nonette, Gr.2, Prix de Psyché, Gr.3), aux Etats-Unis avec Motorious, Bran et Evening Sun, trois gagnants de Groupe, en Angletererre avec le 2 ans Polly Pott (Gr.2), en Irlande avec Paris Peacock, pour ne citer que les gagnants de Groupe. Il a même sorti la star des bumpers britanniques, A Dream to Share.
Muhaarar au Haras des Faunes.
Comme par miracle, le régime de Muhaarar a soudainement changé du jour où les représentants de Shadwell ont fait le déplacement près de Bordeaux mi-octobre 2021 pour rencontrer Alain Chopard au Haras des Faunes qui envisageait de prendre le cheval en location pour 2 ans. Le week-end suivant, sa fille Eshaada gagnait Gr.1 le jour des Champions Séries à Ascot... ce qui annonçait justement le début d'une longue série qui dure jusqu'à aujourd'hui. Ce jour là, Alain Chopard avait craint que les managers ne fassent volte face et conservent le cheval. Aujourd'hui, sans en avoir eu de nouvelles précises, il est bien obligé de penser qu'arrivé au terme du contrat initial de 2 ans, Muhaarar pourrait repartir en Angleterre dans la maison mère. En attendant, il bat son record de saillies et même de chiffre d'affaires avec 120 juments couvertes en 2023 à 7500 €, c'est à dire le plus haut prix proposé au Haras des Faunes depuis sa création. Seul un croyant peut croire à ce genre de miracle. En l'occurrence, Alain Chopard est très croyant. Il croit surtout en lui-même.
Alain Chopard
Même si les français ont tendance à prendre les anglais et irlandais mot des businessmen toujours trop pressés, il faut constater que les chevaux arrivant en France en 2e main après leurs débuts jugés décevants outre-Manche confirment presque toujours leur manque de talent pour la reproduction. L'hexagone devient alors une voie de garage intermédiaire, un purgatoire dont peu de condamnés ressortent car cela signifie, dans la plupart des cas, le début d'une longue descente aux enfers.
Bien sûr on pourra toujours trouver quelques exceptions. L'une des plus spectaculaires était déjà survenue chez Alain Chopard avec Indian Rocket, qui a lancé l'éleveur sur la planète courses. Réputé comme féroce sinon dangereux, Indian Rocket était passé sur un ring de vente non pas tant parce que son entourage voulait vraiment s'en séparer, mais des suites de divergences administratives entre le propriétaire et le haras qui l'exploitait. Les étalons qu'on trouve pas trop cher en cours de carrière, c'est un peu comme pour les maisons. On fait des bonnes affaires avec des divorces ou des successions qui tournent au vinaigre, bref, en bénéficiant des engueulades des autres...
Dancing Brave, lauréat du Prix de l'Arc de Triomphe 1987, avait fait choux blanc avec ses 2 premières générations puis sorti 4 gagnants de Gr.1 avec la 3e génération...
Car jusqu'alors, il fallait bien constater que le production de Muhaarar pédalait dans le semoule. Entré en grande pompe au Haras en Angleterre à Nunnery Stud en 2016 à £ 30.000, après une formidable carrière de courses couronnée par 4 Grs.1 (Commonwealth Cup, Champions Sprint Stakes, Maurice de Gheest, July Cup), le crack sprinter n'avait donné, jusqu'en novembre 2021, avec 3 générations en âge de courir, qu'une seule gagnante de Groupe complètement hors sujet, Paix, dans le Prix de Lutèce (Gr.3)... sur 3000 m ! Muhaarar filait donc droit vers le gigantesque mur des lamentations équines, rempli de certitudes écrasées contre une cruelle réalité, pour y rejoindre notamment Dayjur, autre crack sprinter de la casaque Hamdan Al Maktoum.
Et donc soudain, il s'est passé un truc. Mais quoi ? Personne ne peut le comprendre. Maître Thierry Grandsir s'est plongé dans ses plus vieux grimoires pour dénicher un exemple. " Pas évident à trouver…Je pense toutefois à Dancing Brave. Ce formidable gagnant du Prix de l'Arc de Triomphe n'a donné aucun gagnant de Gr.1 ni en première ni en deuxième saison. Mais il en a sorti 4 en troisième saison et non des moindres : Commander in Chief, Ivanka, Wemyss Bight et White Muzzle ! Trop tard, il était déjà parti au Japon… On explique son cas par un changement de jumenterie : on l’aurait cru améliorateur au début, puis on lui aurait envoyé des juments de premier plan. Un peu gazeux... Dancing Brave a suivi un destin exactement inverse à Green Desert, qui a démarré en fanfare mais n’a rien su produire de valable en fin de carrière au haras. Pour rappel, le père de Muhaarar est par Green Desert et une fille de Dancing Brave !!!"
Oasis Dream, le père de Muhaarar.
Le père de Muhaarar en question est Oasis Dream. Lui-même crack sprinter capable de donner des champions sur toutes les distances, il reste une référence de haut vol même s'il a perdu sa cote commerciale. Agé aujourd'hui de 23 ans, le père de Native Trail, pour ne citer que son dernier champion fait encore la monte à £ 20.000, un prix auquel il est redescendu progressivement après avoir culminé à £ 85.000 entre 2011 et 2014.
Les résultats d'Oasis Dream en tant que père de pères sont extrêmement disparates. Muhaarar revient du bon côté de la barrière, celle où se situe Showcasing, un peu seul, à £ 45.000. Mais de l'autre côté, on se bat pour faire oublier son nom, comme Naaqoos, Monitor Closely, Reply, Morpheus, Arcano, Coach House, Intrinsic, Presidency, etc... D'autres naviguent à travers le destin, tels Power, Free Port Lux, De Treville, Sri Putra, tenant la barre tout en ayant eu des chances très diverses à leur lancement. Cela ne fait pas d'Oasis Dream un père de pères améliorateur comme Montjeu par exemple.
Richard Venn, le Stallion Man.
Mais un homme a une hypothèse crédible : Richard Venn, qui avait mis en relation Shadwell et Alain Chopard, surnommé Le "Stallion Man" tant il maitrise le marché des étalons en Europe. " On est focalisé sur le fait que Muhaarar soit un fils d'Oasis Dream, qu'il fut un sprinteur et même précoce. Mais il faut aussi prendre en compte qu'il est né d'une vieille souche maternelle de Jean-Luc Lagardère et que son père de mère est Linamix. Or, ce formidable étalon français n'a jamais été performant dans la pure vitesse et précocité. La clientèle qui allait à Muhaarar amenait des juments pour se concentrer uniquement sur les 2 ans. On se rend compte aujourd'hui que c'était hors sujet, car Muhaarar, comme Linamix, donne finalement beaucoup de très bons chevaux sur 1600 m et plus, qui sont les plus performants à 3 ans et plus..."