La chronique Facebook d'And They're Off : Balder Success pour la famille Bellanger
Il y a des jours comme ça, où on vibre plus que d'autres. Des jours bénis, des jours promis, priés et tant espérés. Des jours qui, lorsqu'ils surviennent, se montrent inespérés, inattendus, presque impossibles, car on ne s'y prépare jamais. A chaque naissance, le même cœur qui se serre. Une beauté, nichée sur la paille, frêle et nouvelle dans un monde vaste et éternel. Chaque petit museau semble appartenir à un champion. Chaque petit bond précoce, chaque regard malicieux... Les indices pleuvent des évidences. Mais on se sent si petit, dans ce monde immense. Un poulain, c'est un espoir. Balder Succes, c'était un espoir. Né dans les prairies de Châteauneuf sur Sarthe, pas très loin d'Angers, Balder Succes gambadait sous les flancs de sa mère Frija Eria ; et Damien Bellanger le regardait avec plaisir, car il était son avenir.
Samedi, c'était la Saint-Valentin. Balder Succes avait dû en avoir vent, j'ignore comment, car il s'est déchaîné comme jamais, apportant une reconnaissance toute personnelle à celui qui lui avait adressé tant d'amour, et ce dès le premier jour.
Samedi, il était à Ascot, acclamé par la foule. Samedi... Il disputait les Ascot Chase, sur la piste de ses premiers exploits. Cette piste mythique, qui lui avait ouvert les bras, qu'il avait tout de suite aimée, et qu'il avait pourtant si longtemps abandonnée. Ptit Zig, Ma Filleule, Ballycasey, Theatre Guide. Et Rajdhani Express qui s'était finalement retiré de la fête. Un petit peloton, regroupé sur une longue distance. Un rythme posé. Quelques accros de réception... Mais jamais rien de méchant. Jusque... Jusque la chute, brutale, du ptit français. Du Ptit Zig. Pas de bobos, mais une belle frayeur. Il avait loupé son appel, avait tenté de se rattraper sur le plané, mais l'équilibre n'était pas revenu à la réception. Il avait mis les genoux à terre. Avant de rebondir, vaillant et allégé, à l'assaut de ses camarades qui, déjà loin, ne lui adressaient plus qu'un flot de croupes ondulantes, et estompées. Car l'effort, il se faisait déjà. Les quatre chevaux, côtes contre côtes, franchissaient les fences, défiant les forces restantes, la fougue rugissante, et les regards... Les regards qui en disaient long.
Balder Succes, il avait fait tout son parcours derrière les autres, épousant les courbes de Ptit Zig, puis devenant offensif, lorsque la course était en jeu. Theatre Guide, qui avait été loin devant, donnant le tempo, devait maintenant tenir la réplique. Improviser, faute de provisions. Balder Succes, qui était à ses basques, fournissait un premier rebond. Ils allaient toujours plus vite. Ma Filleule, aussi effilée qu'un bûcheron, la foulée et le museau rasant la pelouse, se cachait encore contre les flancs de Ballycasey dont les naseaux pointés et les oreilles couchées trahissaient déjà une folle envie de vaincre. Belliqueux, mais pas insensible. Ni infaillible. Le beau gris, rejoint par la vieille pouliche, plongeait ses yeux dans les siens. Normal, pour la Saint-Valentin ! Le fence suivant détachait le fil d'amour, Ma Filleul était propulsée devant tandis que son Amant pleurait déjà désespérément le regard de sa belle. Et Balder, dans toute cette Love Story, prenait la tête, et s'en allait. Ma Filleul se jetait à sa croupe. Et y plantait ses griffes. Cette petite française, qui avait conquis Auteuil, et les obstacles britanniques. Pommelée, tressée, lourde. Une catapulte féminine, une Goldikova dans son manteau d'hiver. Elle avait la foulée aussi forte, mais la tenue en plus. Le fils de Goldneyev lui résistait. Il était plus solide. Sur le plat, il lui prenait deux longueurs d'avance. Sur le fence, il rassemblait ses antérieurs avec perfection, et poursuivait son galop. La jument, appliquée dans ses sauts, pointilleuse quant à sa réception, perdait du temps, de l'énergie, mais poursuivait sa course. Le dernier fence en vue, Balder anticipait son saut, mais était porté par la fougue. Wayne Hutchinson avait senti l'hésitation de son camarade, et se préparait à un bond difficile. Pourtant, dès la réception, ils ne faisaient à nouveau plus qu'un. Balder, le beau brun, accélérait encore, laissant rouler sa mécanique parfaite. Des foulées douces, qui glissaient des épaules à la croupe. Lorsqu'il franchissait le poteau d'Ascot, Balder Succes avait autant l'air d'un gagnant de Champion Stakes que de Gold Cup. Mais Samedi, avant tout, il était un magnifique cadeau de Saint-Valentin. Peut-être le meilleur chocolat de la boîte. Sûrement l'instant le plus doux, la pointe de bonheur tant espérée. Ce petit bonheur, que vit la famille Bellanger.