Kitten's Joy : le miraculé révolutionnaire
Comment un simple cheval alezan peut-il avoir autant d'influence pas seulement sur les courses elle-mêmes, mais sur la société des courses. Quand en 2013, Kitten's Joy a été le tout 1er cheval de l'histoire des courses américaines à être sacré meilleur étalon du pays toutes catégories confondues tout en étant spécialisté sur le gazon, il a été le symbole d'un basculement psychologique. La triple couronne et le circuit de sélection des 3 ans restera bien sûr longtemps sur le dirt, mais alors que pendant des décénnies le dirt était seul roi tandis que les pistes en gazon n'étaient qu'une sous-discipline en Amérique, les choses ont considérablement changé dans les années 2010. A cause de la casse et des grognements des propriétaires, les entraîneurs ont couru de plus en plus sur le gazon afin de préserver leurs généreux mécènes. Les moyennes de partants sont devenus plus élevées sur gazon que sur herbe, et donc aussi les masses d'enjeux, un signe auquel ont été sensibles tous les organisateurs de courses, qui se sont tous dotés de pistes en gazon afin d'attirer des concurrents.
Kitten's Joy avec Kenneth Ramsey
Même avec son rythme plus lent par nature, l'élevage américain a réagit rapidement. Déjà, lors de notre 1er voyage dans le Kentucky en 2010, on entendait parler d'un certain War Front qui avait d'autant plus d'avenir qu'il avait du potentiel pour le gazon. On connaît la suite. Néanmoins, du côté européen, si on a vu récemment une vague de 2 ans marquée US par leur père (Scat Daddy, etc...) voire aussi leur entraîneur (Wesley Ward), voilà des lustres qu'on n'avait pas vu un fils d'une étalon américain devenir le roi des courses dans le vieux continent. Le cas de Giant's Causeway est une exception, dont le père Storm Cat a fini en fiasco pour l'élevage européen et en gouffre financier pour Coolmore.
Donc, Roaring Lion est très intéressant. Acheté aux Etats-Unis pour $ 160.000, et déjà vainqueur des Royal Lodge Stakes (Gr.2) puis 2e de Saxon Warrior dans le Racing Post Trophy (Gr.1) à 2 ans, il a gagné les Dante Stakes (Gr.2) avant de conclure 3e du Derby d'Epsom (Gr.1) de Masar. Ce dernier n'avait pas recouru, Roaring Lion a pris le titre de meilleur 3 ans européen à la faveur de son triplé estival de Gr.1 sur 2000 m. Le représentant de Qatar Racing a en effet gagné les Eclipse Stakes et les international Stakes et vient de s'imposer le 15 septembre devant Saxon Warrior dans les Irish Champion Stakes (Gr.1), l'Arc de Triomphe de la Verte Erin. Le même jour, quelques heures plus tard avec le décalage horaire, un autre fils de Kitten's Joy remportait pour la 2e fois le Woodbine Mile (Gr.1) au Canada. Cet Oscar Performance avait déjà remporté à 2 ans la Breeders'Cup Juvenile Turf, puis à 3 ans le Belmont Derby et les Secretariat Stakes.
Oscar Performance, vainqueur du Woodbine Mile (Gr.1)
Décidément, Kitten's Joy est bel et bien l'un des meilleurs étalons du monde, père de la star Stephanie's Kitten, Bobby's Kitten, Big Blue Kitten, Admiral Kitten, Real Solution mais aussi de nombreux grands coursiers pour d'autres maisons que celles des Ramsey, notamment Hawkbill qui a gagné la Dubaï Sheema Classic cette année pour Godolphin.
Il n'a eu que très peu de candidats à courir en Europe, mis à part la poignée de ses produits envoyés directement par Ramsey lui-même (dont Real Solution, gagnant de Listed en Italie à 2 ans avant son retour aux States, ou Jolly Good Kitten, lauréate du Prix des Sablonnets, une Listed dans le terrain lourd à Nantes) et ceux acquis aux ventes à Keeneland. En France, son meilleur fils a été le remarquable Taareef, acquis pour 675.000 dollars, et quintuple gagnant de Groupe chez Jean-Claude Rouget, dont 2 fois le Prix Daniel Wildenstein la veille de l'Ar. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Kitten's Joy n'a pas encore un seul fils étalon en Europe. Le champion sire a failli venir lui-même dans notre monde, selon les dires de Kenneth Ramsey en 2017 qui disait que son étalon, bien que liste pleine à 100.000 $, serait plus reconnu à sa juste valeur en Europe qu'aux Etats-Unis. Finalement, Kitten's Joy a juste déménager de quelques kilomètres pour s'installer à Hill'n'Dale, un haras commercial plus prestigieux que Ramsey Farm. En effet, Kenneth Ramsey est considéré comme un nouveau riche arriviste et chanceux par les aristocrates et les vieilles familles qui dominent l'élevage et le marché dans le Kentucky. Ces derniers n'ont toujours pas avalé la réussite insolente de Ramsey avec ses méthodes allant à l'encontre de toutes les méthodes connues.
Taareef lors de sa 2e victoire dans le Prix Daniel Wildenstein (Gr.2) PHOTO ARPH
Ramsey est un fou furieux. Républicain acharné, fan de George Bush Jr et supporter de Donald Trump, il est en même temps obsédé par la qualité de l'eau, le mode de vie sain et par l'agriculture bio en général. Lui qui a fait fortune dans la téléphonie mobile, il a acheté un immense domaine de 800 hectares et quand il a installé Kitten's Joy dans son nouveau haras à 25.000 $, vu qu'il n'intéressait aucun éleveur, il s'est lancé dans une incroyable vague d'achats. Lui qui aimait déjà jouer avec les réclamers et les handicaps, il a acquis des centaines de femelles à réclamer pour les amortir en course puis les envoyer à son étalon ! Et ça a marché...Aujourd'hui, il a près de 300 juments à l'élevage. Toujours aussi motivé à 83 ans, Kenneth Ramsey est l'éleveur propriétaire américain qui détient le plus gros effectif. Visionnaire, il avait parié dès le 1e jour de son installation sur le jeune et génial entraineur Chad Brown.
Kitten's Joy en course.
Kitten, qui est devenu sa marque de fabrique, est le surnom de sa femme Sarah, qui a construit toute son écurie avec lui mais qui a malheureusement été victime d'un AVC il y a 5 ans, l'ayant considérablement diminué. Kitten's Joy est le fils de la toute 1e jument achetée par Sarah, logiquement nommée Kitten's First, une fille de Lear Fan. Très estimée, celle-ci est rentrée au haras après s'être fracturée une hanche en sortant des stalles lors de sa 2e sortie. Cette blessure a entrainé des conséquences majeures sur sa carrière de poulinière. En effet, si le 1e poulinage s'est bien passé en 1995, avec la naissance de Justenuffheart, gagnante de stakes et future bonne mère, les suivants ont été très difficiles avec plusieurs poulains morts nés, à cause du passage obstrués par sa hanche. Les Ramsey se sont résolus à tenter la césarienne. Courante et ancien chez l'humain, banal chez le bovin, cette opération est extrêmement délicate et rarement pratiquée chez le cheval. En effet, la peau de la jument est extrêmement tendue, la sortie du produit soit se faire par le dessous et non le flanc, l'opération doit se faire couché et non debout, l'anesthésie générale est indispensable au grand risque d'abimer le cerveau du poulain, la jument est tellement sensible aux infections (contrairement à la vache) que toute manipulation doit être réalisé en milieu totalement asptisé, en bloc opératoire, en présence de 4 vétérinaires, sans garantie d'absence de complications post opératoire. Pour couronner le tout, le poulain se "finit" dans le ventre de sa mère jusqu'au dernier moment avant la naissance, notamment une protection pulmonaire, ce qui rend le déclenchement de la naissance impossible. Bref, Kitten's Joy est donc un miraculé de la vie.
Stéphanie's Kitten, la 1e championne de Kitten's Joy, après sa 2e victoire dans la Breeders'Cup
Chez la jument, une telle naissance ne peut réussir que si le protocole est décidé à l'avance et que la jument patiente dans un box voisin du bloc opératoire pendant toute la dernière période avant la naissance, ce qui a été le cas chez les Ramsey compte tenu que Kitten's First était un jument à risque de part sa hanche et par la mort de ses précédents foals. Kitten's First a eu 2 autres produits par césarienne. Deux ans après Kitten's Joy, est née Precious Kitten (Catienus), une championne lauréate de 3 Gr.1 et de près de 2 millions de dollars. Victime d'arthrose, Kitten's First est morte à 13 ans.
Racheté 98.000 $ (avec une réserve à 100.000 et une dernière enchère à 95.000, puis entrainé par Dale Romans, Kitten's Joy a été le meilleur cheval de gazon de sa génération à 3 et 4 ans. Il a remporté son 1e Gr.3 le 1e janvier de ses 3 ans en Floride dans le Tropical Park Derby à Calder, sous la selle du crack jockey Jerry Bailey. L'entourage s'est décidé à préparer le cheval pour Kentucky Derby. Lors de sa grosse séance de travail, Bailey, convoqué pour l'occasion, conseille à l'entraineur d'essayer le cheval sur le gazon, même s'il avait fait un très bon temps sur le dirt ce jour là. Romans écoute Jerry Bailey qui a donc par son avis changer le destin du cheval...et pas que du cheval. Au 1e semestre, Kitten's Joy remporte 3 nouveaux Gr.3 sur le turf, puis décroche son 1e Gr.1 dans les Secretariat Stakes à Arlington, enchaîne sur le Joe Hirsch Invitational (Gr.1) face à ses aînés et conclut sa riche saison par une 2e place la Breeders'Cup Turf (Gr.1) de Better Talk Now, étant vainqueur moral de la course après s'être fait écraser par le futur vainqueur en face. A 4 ans, il ne court que 2 fois, étant retiré à cause d'un cartilage au genou après une 2e place derrière Powerscourt dans l'Arlington Million.
Notons que si toute l'origine maternelle et paternelle est américaine, puisque ses 4 grands-parents sont nés aux Etats-Unis, Kitten's Joy est tout de même fils d'El Prado, né en Irlande où il a enlevé les National Stakes (Gr.1) à 2 ans. El Prado a été le seul fils de Sadler's Wells à obtenir un grand succès au haras aux Etats-Unis, en ayant produit également le très important Medaglia d'Oro. El Prado est le père, en France, du bon étalon mixte Spanish Moon. Il a été sacré meilleur étalon américain en 2003. Parmi ses meilleurs produits, El Prado compte Artie Schiller, dauphin de Kitten's Joy dans le Virginia Derby puis lauréat de la Breeders'Cup Mile (Gr.1).