Cheltenham 2024 : Teahupoo, le grand bol d'air de Gordon Elliott
Les entraineurs irlandais et anglais sont quand même des enfants gâtés. Loin de savoir former des jeunes chevaux, ils obtiennent la plupart de leurs succès avec des éléments qu'ils ont reçus tout faits, dressés, mécanisés, sélectionnés et préparés, vainqueurs de point to point ou plus encore de bonnes épreuves en France, y compris à Auteuil. Les propriétaires se montrent tellement nombreux, riches et généreux qu'ils peuvent se payer tout ce qu'ils veulent, c'est à dire l'exact opposé de la France, aucun entraineur peut se targuer d'avoir un propriétaire en mesure d'acheter pour une forte somme un sujet clé en main.
Gordon Elliott taquine Teahupoo qui lui offre sa 1e victoire à Cheltenham 2024, et la 38e victoire de sa carrière à ce festival.
Dès lors, si beaucoup d'entraineurs anglais ont un don inégalable pour massacrer méthodiquement tous les chevaux formidables qu'ils recoivent, un peu comme des gosses mal élevés qui cassent tous leurs jouets et leur inventent des problèmes de cornages dès qu'ils ne fonctionnent plus, le succès des uns et des autres dépend beaucoup de la qualité de leur recrutement. A ce jeu, Willie Mullins est un maître. Sachant qu'il est l'un des rares à vraiment préparer aux petits oignons des chevaux, pour tout type d'objectifs. En plus de les faire acheter, il pulvérise l'opposition car il est entouré d'une fidèle éminence grise, Harold Kirk, et qu'il a en France un redoutable agent recruteur, Pierre Boulard. Il est le seul à avoir cette organisation avec des hommes aussi dévoués et fidèles, ce qui n'est donc pas le cas pour aucun autre, dont Gordon Elliott.
Teahupoo sur la dernière haie.
Les gros corbeaux noirs étant légion en Irlande, les oiseaux de mauvaise augure ont annoncé la fin du règne de Willie Mullins en 2016 quand son grand propriétaire, Gigginston Stud, annonçait qu'il lui retirait tout son vaste effectif pour une raison de prix de pension. Le propriétaire en question, Micheal O'Leary, patron de Ryanair, adoptait ici son obsession de l'économie radine à son écurie de course. Déjà gagnant de la Gold Cup pour cette casaque en 2015 avec Don Cossack, Gordon Elliott a reçu la plus grosse part du transfert. Il a alors explosé, venant faire vaciller le grand Willie de son trône irlandais, jusqu'à devenir 2 ans de suite le top entraineur de Cheltenham en 2017 et 2018.
Il faut dire que l'homme a de l'envergure. Si Mullins provient d'une grand lignée hippique, en digne fils du crack entraineur Paddy Mullins, Elliott sort quand à lui de nulle part. Fils d'un petit sauveteur de capots emboutis, un carrosier du nord de Dublin, celui qui est surnommé le gitan du comté de Meath est entré dans le monde des courses par passion spontanée à l'âge de 13 ans. Montant beaucoup en point to point (48 succès pour 200 montes), il a été victime d'une grave chute qui l'a obligé à cesser de monter en amateur et à s'installer entraineur à 28 ans en 2006. Totalement, inconnu, et n'ayant pas encore sellé un seul gagnant dans son pays natal, Gordon Elliott devient pourtant le plus jeune entraineur vainqueur du Grand National de Livepool avec l'outsider Silver Birch, en 2007 à 29 ans. Il remportera ensuite 3 fois ce Grand National avec Tiger Roll, sous la casaque de Gigginston.
Bien malgré lui, Elliott a été le sinistre héros de l'énorme scandale de la photo de lui assis sur un cheval mort à l'entrainement, qui lui a valu un retrait de licence de 6 mois. S'il a perdu les chevaux de Cheveley Park Stud, dont Envoi Allen, Elliott a trouvé une prête nom, Denise Foster, pour continuer à gagner beaucoup de courses pour ses propriétaires qui pour la plupart lui ont conservé sa confiance. Il faut dire que l'homme a de la ressource. Notons qu'il a été aussi capable de gagner, un peu comme son rival Willie Mullins, de grandes courses de plat, dont le Ebor Handicap à York et les Queen Alexandra Stakes à Royal Ascot à 2 reprises.
Il n'empêche que pendant ce temps là, Willie Mullins a reconstitué ses effectifs en adoptant toujours cette même méthode de recrutement, pas forcément spectaculaire car il n'achète pas les chevaux les plus chers, mais diablement efficace. Déjà au dessus du lot cette saison, il écrase désormais le festival de Cheltenham. Toutefois, aux courses, la vérité du jour n'est pas celle du lendemain. Ainsi, alors qu'il avait tout raflé les 2 premiers jours, Mullins n'a pas touché une bille pendant la 3e journée. Et son éternel rival en a profité pour décrocher son 1er succès du meeting 2024, et le 38e de sa carrière pendant le festival de Cheltenham, avec Teahupoo dans le Stayer's Hurdle, où les 3 partants de Mullins ont sombré. Grand course de haies sur la longue distance, cette épreuve fait partie des 4 plus belles épreuves du festival.
Philip Prévost-Baratte avait fait le déplacement pour profiter de la victoire de son élève.
Teahupoo est pur cheval clé en main, qui a été formé par Gabriel Leenders et qui est arrivé chez Elliott après son achat suivant son succès en débutant dans le Prix Emilius à Auteuil, à 3 ans à l'automne 2020. Elevé par le Haras du Hoguenet et Philippe Prévost-Baratte, débourreur pré-entraineur du Calvados, Teahupoo est un fils du très en forme Masked Marvel et de la bonne Droit d'Aimer, quadruple lauréate à 3 ans à Lyon et Enghien pour Nicolas Bertran de Balanda. Cette fille de Sassanian a bien produit, donnant aussi avec Montmartre la douée La Haute Couture (2e Prix d'Indy, Gr.3). VOIR LE PEDIGREE.
Les poings serrés de la joie de Gordon Elliott.
Teahupoo a bien enchaîné chez Elliott, gagnant de 4 courses de Ggroupe la saison suivante. Mais il a subi 2 échecs complets au plus haut niveau sur 3200 m au printemps 2022 dans les Champion Hurdle de Cheltenham et de Punchestown, remportées par Honeysuckle. Son entraineur a décidé de le passer sur les longues distances, avec bonheur. 3e de son compagnon d'entrainement Sire du Berlais l'an dernier dans ce Stayer's Hurdle, le voilà, sous la selle de Jack Kennedy, lauréat d'une des 4 plus grandes épreuves du festival.